Laurentides : Volonté de renaissance des sentiers patrimoniaux
Par Sandra Mathieu
L’ADN du plein air dans les Laurentides
Un petit groupe de bénévoles déterminés procédait le 26 octobre dernier à Ivry-sur-le-Lac, à l’installation de la première balise de la piste de ski de fond Maple Leaf 2.0. Grâce au tout nouveau Fonds Jackrabbit initié entre autres par Karin Austin, petite fille du légendaire fondeur centenaire, ils s’emploient à redonner à cette piste patrimoniale ses lettres de noblesse, en respectant, le plus fidèlement possible, son profil original.
En négociant des droits de passage et en empruntant des pistes existantes telles que la Western, l’intention c’est de recréer, d’ici quelques années, un lien en continu comme à la belle époque de Jackrabbit. Rappelons qu’Herman Jackrabbit Smith-Johannsen a tracé la Maple Leaf dans les années 1930. Cette piste de près de 120 km qui reliait Labelle à Prévost a perdu du galon au fil des ans, en raison du développement urbain.
« Mon grand-père Alexis fabriquait les skis d’à peu près tout le monde qui skiait dans le coin entre les années 20 à 40, confie avec fierté François Gohier, natif de Sainte-Agathe-des-Monts et impliqué depuis plusieurs années dans les corvées d’aménagement de sentiers de la région, ainsi qu’au sein d’Éco-corridors laurentiens. Mon plus vieux souvenir c’est de faire du ski avec lui quand j’avais 4 ou 5 ans et c’est pourquoi ce projet me tient tant à cœur. »
Bien que ce jour historique et symbolique appuie la volonté de la renaissance des connections intermunicipales, les défis qui guettent sa pérennité ne peuvent être passés sous silence. Tour d’horizon.
Démocratisation des pratiques
Pour Jack Gauthier, un bénévole de longue date, fondeur aguerri et instigateur du Festival de ski hors-piste Eddy-Fortier, la démocratisation des pratiques dans les sentiers en période hivernale apporte son lot de défis. « Aujourd’hui les plenairistes sont dorlotés et plus exigeants, les aventuriers se font plus rares et les raquetteurs prennent de plus en plus de place, explique celui dont la famille est installée à Sainte-Marguerite-du-lac-Masson depuis sept générations. Même si dans certains secteurs moins habités des pistes revivent, dans les autres municipalités on dépend de la volonté politique. Une chose est certaine, mes petits-enfants ne pourront jamais skier comme je l’ai fait jadis, d’un village à l’autre sans interruption, parce qu’il suffit d’un seul propriétaire avec la mentalité de la ville pour morceler une piste »
Nancy Belhumeur, conservatrice au Musée du ski des Laurentides, est d’avis que Jackrabbit ne se retournerait pas néces-sairement dans sa tombe en voyant ce que sont devenus les sentiers patrimoniaux. « C’était un homme téméraire, il aurait sûrement été très curieux d’essayer le fatbike, lance-t-elle sourire en coin. Plus sérieusement, son message était clair, il voulait avant tout que les Canadiens se réapproprient l’hiver. On est dans une période de transition en ce moment avec la démocratisation des pratiques et on reconstruit la réalité de demain. J’ai confiance aux passionnés en place. »
Elle souligne d’ailleurs l’intronisation récente au Temple de la renommée du ski de James Jackson comme bâtisseur ski nordique pour souligner plusieurs décennies d’implication entre autres pour la sauvegarde et le développement des sentiers à Morin-Heights.
Mobilisation sur le terrain
De son côté, Marie-France Lajeunesse, directrice générale de la Société de plein air des Pays-d’en-Haut (SOPAIR) reste optimiste. « Malgré toute la pression immobilière, j’ai remarqué depuis les quatre années que je suis en poste une réelle mobilisation sur le terrain. Plusieurs organismes et particuliers ont cette volonté de transmission de l’héritage du plein air et notre plan triennal issu de la Politique de protection et d’accessibilité aux sentiers de la MRC a pour priorité la sauvegarde des interconnexions municipales. Il reste clair que la donne a changé au niveau des pratiques et que nous devons aujourd’hui avoir une vision de sentiers multifonc-tionnels quatre saisons. J’ai espoir qu’à coup de tronçons locaux, nous pouvons gagner du terrain. »
Selon les dernières données de la SOPAIR en 2017, 77 % des sentiers de la MRC se trouvent en terrains privés donc dépendent d’une entente avec les propriétaires. Selon une enquête menée dans le cadre de la Politique, les propriétaires terriens estiment de façon importante que les sentiers déprécient leur propriété. Ils sont en majorité peu familiers avec les sentiers et leurs gestionnaires et n’ont aucune entente relative à la gestion des sentiers sur leur propriété.
Le coût de l’urbanisation
Pierre Dumas, ingénieur impliqué auprès du Musée du ski des Laurentides et auteur du Géo-répertoire des sites de ski du Québec, déplore que plusieurs proprié-taires terriens qui s’installent dans les Laurentides se barricadent et ne sont pas ouverts à la discussion. Du côté des promoteurs, la règle du 10 % aux fins de parc devrait protéger une partie des pistes, mais il arrive souvent qu’ils demandent un déplacement ou encore ils préfèrent parfois verser une compensation en argent à la municipalité.
« Dans certains secteurs, l’urbanisation évolue beaucoup plus rapidement que la vitesse à laquelle les municipalités s’entendent et agissent », fait valoir Claude Chapdelaine, secrétaire de Plein air Sainte-Adèle et impliqué au sein de l’organisme depuis plus de 10 ans, plus spécifiquement au niveau de la cartographie.
Un comité de travail chez PASA, organisme qui célébrait récemment ses 30 ans, planche depuis plusieurs mois sur un plan de communication pour sensibiliser les différents publics cibles de cette population hétérogène (promoteurs immobiliers, propriétaires terriens, acheteurs et usagers) avec des messages spécifiques et adaptés qui démystifient les droits de passage et les servitudes.
« Même si la mode du ski nordique fait un retour, ça ne ramènera pas l’entièreté des sentiers patrimoniaux, mais je m’accroche à ce rêve d’une loi qui donnerait le pouvoir aux MRC de protéger l’accès aux sentiers régionaux identifiés et de mieux définir et protéger le patrimoine culturel immatériel », ajoute M. Chapdelaine.
Communautés tissées serrées
En parallèle aux nombreux défis qui guettent la pérennité du réseau, les municipalités et les communautés de plein air multiplient les initiatives et réalisent de plus en plus l’importance d’investir pour le futur. On n’a qu’à penser au projet du Parc du Mont-Loup-Garou à Sainte-Adèle qui se concrétise plus que jamais. Un projet qui fait l’unanimité auprès de la communauté de plein air.
« Avec des permissions et des droits de passage, nous vivons sur du temps emprunté, explique Benoit Gauthier, le grand manitou du développement du vélo de montagne et du fat bike dans la région. Un projet comme celui-là nous permet d’être pro-actif et il est clair que le plan directeur du développement tiendra compte de tous les types d’usagers pour qu’ils puissent cohabiter, et ce, à l’année. »
Alors que de beaux exemples de développements dans d’autres régions du Québec et chez nos voisins du sud inspirent certains, les droits de libre accès à la nature de la Scandinavie font des envieux. Gardons l’œil ouvert pour la suite des choses dans les Laurentides!
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