Woke, bienveillance et tutti quanti

Par Rédaction

Il y a des termes que je ne suis plus capable d’entendre, soit parce qu’ils sont surutilisés au point d’être galvaudés, soit parce qu’ils s’inscrivent dans des tendances vertueuses qui permettent d’étouffer des décisions en total contradiction avec les valeurs qu’elles sont censées prôner. En voici quelques-uns.

Bienveillance

Ça, c’est un peu le terme à la mode, le slow-thinking du moment, le comfort-minding, le hoodie des mots, le Matcha des lettres, celui qui réconforte comme un doudou avec un thé au coin du feu. À la base, c’est un joli mot, plein d’amour et d’altruisme. Malheureusement, il a inspiré le monde du marketing. Et quand le marketing s’en mêle, les intérêts sont moins vertueux que spéculatifs. La bienveillance, on la sert désormais à toutes les sauces sur toutes les plateformes visant la rétention et la mobilisation des employés. Inciter à la bienveillance, c’est payant! Ton employeur ne peut plus t’offrir de hausses de salaire acceptable? Tu galères pour trouver un médecin ou un thérapeute quand tu es malade? En télétravail forcé, t’as plus que ton écran avec qui prendre ton café et ta charge de travail a doublé en deux ans? Pas grave, t’as des zoom-collègues bienveillants! Mieux encore, tu reçois des petits messages bienveillants des RH quand ton chat a renversé le café sur ton clavier! Tu peux même devenir un ou une mentor(e) et contribuer à bas prix à accroitre les profits de ton employeur en te persuadant que tu favorises le vivre-ensemble. Lâchez-moi la bienveillance! On va se le dire, quand elle est instrumentale et stratégique, ça ressemble plus à de la manipulation et de l’hypocrisie qu’à de la gentillesse naturelle et spontanée!

Woke

Celui-là, c’est le terme que tout le monde tente d’insérer dans un discours, mais que personne n’est capable de définir vraiment, pas même le premier ministre François Legault qui a servi une définition du terme très éloignée de sa signification initiale. Bref, c’est le terme surutilisé de 2022 qui veut tout dire, et même son contraire! C’est le terme qui nous a conduit à être plus équitables et inclusifs, mais aussi, paradoxalement, moins tolérants. Parce que désormais, « woke » a pris des allures d’insulte. On se fait traiter de woke quand on dénonce des discours toxiques et haineux. À en croire certains, la pensée woke serait dangereuse, alors qu’en réalité, être woke c’est être vigilant face aux discriminations et aux injustices raciales ou sociales. Autant dire que lorsqu’un mot est servi à toutes les sauces au point de devenir une insulte, mieux vaut cesser d’en faire usage!

Environnement

Voilà un terme qu’il est préférable de glisser dans tous les discours et tous les programmes, dans toutes les institutions et tous les partis politiques, même s’il ne s’accompagne d’aucune mesure concrète pour l’améliorer. Pour de nombreux décideurs, en parler suffit à régler le problème, à satisfaire le moindre quidam, à se donner des airs d’implication citoyenne. Glisser le terme dans un discours leur donne l’impression d’en faire beaucoup. Adopter un air grave et convaincu quand on prononce le mot « environnement » suffit malheureusement à rassurer ceux qui ne voient aucune contradiction à promouvoir un 3e lien qui va à l’encontre du dernier rapport du GIEC, à manquer de transparence dans le dossier de la fonderie Horne ou à s’enliser dans celui du caribou. C’est comme les épiceries qui retirent les sacs plastiques pour nous vendre des aliments sur-emballés ou le Bye bye qui effleure le sujet sans arriver à la cheville d’Infoman. Non mais « ça va bien aller! », on parle d’environnement!

La meilleure suggestion que j’ai lue sur le sujet vient de l’autrice Anne Archet. Dans « Le vide : Mode d’emploi », elle suggère de cesser de dire « environnement » et de le remplacer par « survie de l’espèce humaine ». « Ce serait rigolo d’entendre les politicien.ne.s dire “la survie de l’espèce humaine est importante, mais pas au dépens de l’économie” pendant les campagnes électorales », écrit-elle.

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