Un repas pour chaque enfant?
Par Frédérique David
Le sujet a déjà été abordé dans cette chronique, mais la rentrée scolaire qui se dessine est l’occasion d’y revenir car il est d’une importance sous-estimée. Il s’agit de la suggestion faite par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) l’an dernier d’offrir un repas à chaque enfant en milieu scolaire. Le ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville, avait rejeté la proposition. On n’en parle plus vraiment depuis, pourtant l’idée mériterait qu’on s’y attarde davantage car tous les enfants du Québec ne mangent pas à leur faim, tous ne bénéficient pas d’un repas sain, tous n’ont pas les conditions minimums pour bien se développer et apprendre.
Moyens et convictions
L’Étude de l’IRIS publiée en août 2023 indiquait qu’un programme visant à offrir un repas gratuit par jour aux 982 000 élèves des écoles publiques du Québec coûterait 1,7 milliard de dollars par année. C’est moins de 2% du budget 2024-2025 du ministère de l’Éducation. Cela correspond aussi au montant accordé aux contribuables dans le budget caquiste de 2023. Montant qui, admettons-le, n’a pas eu un impact aussi notoire sur leur qualité de vie qu’en aurait une mesure visant à bien nourrir nos enfants. Bien sûr, on pourrait débattre longtemps de comment gérer l’argent des contribuables. Une chose est sûre, il faut cesser de dire que le gouvernement n’a pas les moyens d’offrir des repas dans les écoles. Il a les moyens de financer de nombreux programmes. Reste à déterminer lesquels privilégier, lesquels répondent à leurs convictions du moment qui sont malheureusement souvent teintées par des intérêts personnels et des aspirations électoralistes. D’ailleurs, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que le prochain budget fédéral consacrera 1 milliard $ au cours des cinq prochaines années au financement d’un programme national d’alimentation scolaire. À l’échelle du Canada, cela équivaut, admettons-le, à une goutte d’eau dans un océan qui vise surtout à bien paraître en période pré-électorale.
Une situation inquiétante
De nombreux pays ont déjà mis en place un programme national d’alimentation dans les écoles. L’IRIS mentionne qu’au moins 25 pays offrent des repas financés à 100% aux écoliers du primaire et une dizaine subventionnent entre 75% et 99% le coût des repas scolaires. Au primaire, ce sont 41% des enfants dans le monde qui reçoivent des repas gratuits ou subventionnés à l’école. Le Canada est le seul pays du G7 à ne pas s’être doté d’un tel programme et le ministère de l’Éducation du Québec a consacré 40,3 millions de dollars en 2023-2024 à l’aide alimentaire dans les écoles. C’est nettement insuffisant quand on sait qu’au moins 12% des enfants québécois subissent une forme modérée ou grave d’insécurité alimentaire! La hausse de l’inflation ne cesse de faire augmenter le prix des aliments et de réduire le pouvoir d’achat des ménages, ce qui contribue à accroître le problème. Dès lors, on peut facilement imaginer que l’insécurité alimentaire est de plus en plus préoccupante.
Des bénéfices multiples
Les bénéfices d’un programme universel d’alimentation scolaire sont nombreux et dépassent largement la réduction de l’insécurité alimentaire et de ses conséquences sur la santé physique et psychologique des enfants à court et à long terme. Il permettrait aussi de réduire la stigmatisation qui accompagne certaines mesures mises en place au Québec pour aider les élèves les plus défavorisés. Par ailleurs, il est prouvé que l’accès à des aliments sains favorise une bonne alimentation. Ainsi, la mise en place d’un programme d’alimentation scolaire favoriserait l’apprentissage de saines habitudes de vie dès le plus jeune âge. Comme le souligne l’IRIS, des bienfaits environnementaux peuvent également s’ajouter avec l’approvisionnement local et écoresponsable. Au Brésil, un programme national d’alimentation scolaire existe depuis 1955 et il s’accompagne, depuis 2009, d’objectifs pédagogiques, environnementaux et de développement économique local. Ainsi, au moins 30% des budgets alloués doit être consacré à l’achat de denrées produites par des fermes familiales locales. Qu’est-ce qui manque au Québec pour offrir à ses enfants ce que le Brésil, l’Angleterre ou la Finlande offrent depuis longtemps? Pourquoi ne peut-on fournir à nos enfants les conditions de base nécessaires pour grandir et apprendre? De nombreux organismes réclament depuis longtemps des repas gratuits pour tous dans les écoles. Leur mise en place ne dépend que d’une chose : une volonté politique.