Sur fond de lassitude

Par Frédérique David

Et c’est reparti pour une énième campagne électorale, un peu comme on raccroche le toutou à la fête foraine pour qu’un nouvel enfant réussisse à l’attraper au prochain tour de manège.

Déjà, on se prépare à entendre les mêmes discours qu’il y a quatre ans, à se faire bercer (ou berner?) par les mêmes promesses. Ça sonne comme cette petite musique qui fait tourner la danseuse en tutu sur une boîte à musique rose, encore et encore, inlassablement. Certains regarderont la parade passer en jetant un œil furtif et détaché. D’autres suivront chaque débat, chaque conférence de presse, chaque analyse, en quête de réponses à leurs questions et de choix éclairés. Il y a aussi les boomers nostalgiques et fidèles à Lévesque qui écriront « votez PQ » en commentaire sur Facebook sous chaque photo d’enfants, de vacances ou de prouesses culinaires de leurs amis.

Des affiches polluent à nouveau nos rues tandis que le manque d’intérêt de la population pour la politique ne fait qu’augmenter. Les jeunes ne se reconnaissent pas dans la plupart des candidats et encore moins dans leurs discours. Ils ne sentent pas que leurs préoccupations sont entendues et tournent le dos à cette politique « traditionnelle » révolue. Les personnes en situation de précarité ont perdu tout espoir de changement. Ils n’ont que faire des beaux discours du salon bleu, car ils savent qu’ils vont devoir continuer de ramasser des canettes vides pour venir à bout de nourrir leurs enfants. Quant aux plus nantis, ils se divisent entre un rejet fort et assumé du politique et un conformisme et une obéissance civique. Ces derniers répètent sans cesse que le gouvernement « a fait une bonne job » et multiplient les « à leur place, je n’aurais pas fait mieux! ». On nage donc dans un marasme politique teinté de colère et de désespoir, de confiance aveugle et de méfiance à outrance. Bref, la lassitude est à son comble.

On peut toujours voir dans cette campagne l’occasion de rire, ou de se désoler, c’est selon, des outrances verbales des politiciens et des gaffes en série. Encore faut-il être en mesure de ne pas s’inquiéter des commentaires haineux qu’elles provoquent sur les réseaux sociaux. Et face à cette déplorable dégradation du débat public, je ne cesse de penser aux élèves du primaire qui apprennent à débattre en classe et qui pourraient servir des leçons à tous ces adultes sur les arguments, la structuration du discours ou la prise de parole. Quand je vois nos jeunes s’exprimer, j’ai hâte que ce soit eux qui prennent en main la gouvernance de notre belle province!

La baisse d’intérêt des Québécois pour la politique est liée à plusieurs facteurs. Un de ces facteurs « renvoie à des causes plus générales qui tiennent à la montée de nouveaux enjeux, notamment la question de l’environnement, paraissant mobiliser davantage de jeunes électeurs qui auparavant jouaient un rôle important dans le mouvement souverainiste québécois », expliquent les auteurs de l’essai « Le nouvel électeur québécois » qui vient de paraitre aux Presses de l’Université de Montréal.

Au-delà de toute cette comédie qui nourrit allègrement les caricaturistes, reste le problème fondamental de l’absence de projet collectif. Comme c’est le cas dans de nombreux pays, un nouveau clivage idéologique se dessine au Québec. L’électorat québécois est plus divisé que jamais, en raison notamment de « l’existence d’un conflit de nature plus culturelle entre, d’une part, les tenants de valeurs telles que le cosmopolitisme (c’est-à-dire une attitude qui privilégie l’individu et rejette les nationalités) et la protection de l’environnement et, d’autre part, les partisans de la loi et de l’ordre et d’un contrôle plus serré de l’immigration », expliquent les auteurs du nouvel ouvrage. Ce clivage libéral/autoritaire entraine à la fois une démobilisation, mais aussi une division du vote au profit de nouveaux partis politiques.

Le projet collectif n’est visiblement pas au menu de cette campagne, même si certains enjeux terriblement préoccupants, comme l’environnement, ne peuvent plus attendre. Souhaitons au moins que ce clivage qui nous définit désormais nous préservera de la violence et de l’autoritarisme que l’on voit monter ailleurs.

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