Solidarité féminine face au « backlash »
Par Frédérique David
Sororité, c’est le mot qui fait grincer des dents celles qui trouvent que « fraternité » faisait la job et qu’il n’est pas nécessaire de féminiser tous les termes genrés. Pourtant, elle représente une solidarité entre femmes d’un nouveau genre, un soutien nécessaire face à de nouveaux enjeux, parce que le monde a changé, parce que les obstacles à franchir sont plus imposants, plus sournois, plus systémiques. Parce que la fraternité historique a besoin d’être remise en question dans toutes les sphères de la société pour que les femmes aient enfin la place qu’elles méritent, au même niveau que les hommes. Pour que les femmes ne soient pas celles qui subissent, encore. Pour que les femmes ne perdent pas des droits si chèrement acquis.
Face au « Manterupting »
En politique, on a vu la sororité des femmes faire obstacle au « Manterrupting », concept qui décrit une situation où un homme interrompt une femme pour prendre la parole à sa place et dire ce qu’elle s’apprêtait à dire. En 2016, les femmes du cabinet d’Obama ont réalisé que leurs idées étaient souvent reprises par leurs collègues masculins, qu’elles n’étaient pas toujours invitées aux réunions importantes et que leur point de vue bénéficiait de moins de considération que celui des hommes. Elles ont alors développé la stratégie de « l’amplification », selon laquelle lorsqu’une femme développait une idée, d’autres la répétaient pour lui faire écho afin d’empêcher des hommes de se la réapproprier et pour qu’ils reconnaissent leur contribution. Le président a fini par remarquer cette technique et s’est assuré que les pratiques soient modifiées pour assurer une meilleure inclusivité.
Face aux enjeux environnementaux
Au Québec, la sororité a donné naissance au collectif « Mères au front ». Des mères, des grands-mères ont décidé de passer à l’action pour protéger l’avenir de leurs enfants de la crise climatique, pour dénoncer l’inaction des dirigeants face aux bouleversements climatiques, pour exiger qu’ils assument leurs responsabilités. Malheureusement, les femmes sont les principales victimes des changements climatiques. Selon l’ONU, elles représentent 80 % des personnes déplacées sur la planète en raison des dérèglements du climat. Elles sont aussi plus vulnérables que les hommes aux conséquences des sécheresses, des ouragans ou des inondations en raison de leurs conditions de vie plus précaires. « L’action pour le climat ne saurait être efficace ou durable si les femmes n’y participaient pas », a reconnu l’ONU. Au Québec, selon le Baromètre de l’action climatique 2021, 90 % des femmes croient qu’il est urgent d’agir, contre 77 % des hommes.
Face aux retours de bâtons patriarcaux
Ça c’est l’effet « backlash », le retour de bâton, le recul qu’on n’a pas vu venir et qu’on ne souhaitait pas voir, avec le droit à l’avortement comme enjeu clé, et tant d’autres. Parce que chaque crise économique s’accompagne de conséquences particulièrement désastreuses pour les femmes et les minorités. D’une violence parfois extrême, ce retour de bâton voit le patriarcat revenir en force dans les sphères politiques et publiques avec son besoin de contrôler la femme, de restreindre son émancipation, de posséder son corps. On a même vu un Éric Zemmour, en France, faire l’éloge de la prostitution en signant la pétition « Touche pas à ma pute » pour dénoncer la pénalisation des clients. Le même Zemmour qui, dans son livre « Le premier sexe », réduit la femme à un objet de désir, un être fragile qui n’est intéressé que par le mariage et n’a pas de besoins sexuels. Et le Québec n’est pas en reste avec des masculinistes comme le psychologue Yvon Dallaire qui, dans « Homme et fier de l’être », considère le patriarcat comme une illusion.
À travers le monde, ultra-conservateurs, mouvements anti-droits et réseaux masculinistes menacent les droits des femmes. Des influenceurs misogynes suivis par des millions de personnes encouragent la diffusion de propos haineux envers les femmes. Le documentaire choc de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist « Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique » en témoigne.
Alors que l’on célèbre la Journée internationale du droit des femmes, comment ne pas rappeler l’avertissement de Simone de Beauvoir, « il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». Nous y sommes et la sororité est le seul moyen de défendre nos droits si difficilement conquis au fil des décennies. Comme le rappelle la militante féministe Martine Delvaux, dans Le monde est à toi, « il n’y a pas de bénéfices individuels à être féministe. Ce qu’on gagne, c’est pour la collectivité ».