Se lever de bonheur
Par Mimi Legault
Un jour, dans un chalet, alors que nous étions quelques amies venues passer une fin de semaine, l’une de nous (qui avait un visage de saint… de st-bernard…) nous déclara : Ne me parlez pas avant que j’aie bu mes trois cafés, sinon je deviens enragée.
Ce genre de remarque me sidère. Cette réponse absolument farfelue nous prouve que tout se passe dans la tête. Tu décides d’être de mauvaise humeur comme tu peux décider d’être heureux. Je sais, je sais. Je vous entends penser. J’ai une très bonne écoute. Pas besoin d’appareils… Si tu vois toujours ton verre à moitié vide, prends-en un plus petit et transfère-le. Tu vois ? Il est maintenant plein ! La clé, c’est se lever de bonheur. Même à midi.
L’expression heureux comme un roi, ne sied pas du tout à Charles III. Il venait à peine d’être couronné. Il était en train de signer des documents. Il a eu un problème avec son stylo ou sa plume, devrais-je dire. Il a fait une montée de lait pour une peccadille pareille. C’était d’une tristesse de le voir râler devant un problème d’une épaisseur d’accent aigu. Il devrait humblement le savoir, que même sur le trône, les culottes s’usent.
Il y a quelques semaines, un proche de ma famille a fait une très mauvaise chute : décollement du vitré, orbite brisée, mâchoire endommagée, jambe cassée, c’est à peuprès tout… Pas une fois, je ne l’ai entendu se plaindre. Il me répondait à chaque fois que lorsqu’il s’apprêtait à le faire, il pensait aux gens d’Ukraine, à leurs parents, à leurs enfants. Cela l’arrêtait net.
J’ai une philosophie bien personnelle face au bonheur. Pour le garder intact, je refuse d’accorder le bénéfice de mon bien-être à quelque chose de l’extérieur. Le bonheur, c’est une histoire entre soi et soi. Avoir du fun, faire le party, ce n’est pas du bonheur, c’est agréable, mais ce n’est pas se sentir dans une sorte de nirvana. La sérénité n’est pas une application que l’on peut télécharger sur son portable.
Tenez, chaque matin, avant de me lever, je m’assure que mes vertèbres du coeur sont bien alignées. Je sais que ce n’est pas toujours facile, j’essaie seulement de ne pas grossir mes ennuis ou sinon, je fais infuser davantage. Le bonheur ? Je lui apprends à vivre. Et je me dis surtout, que je ne suis pas le Sauveur. Je ne tente pas de ramener le monde entier dans un optimisme débordant, je demeure une excessive de la modération. Je peux tendre la main, mais bien du monde demeure manchot.
Le but de la vie n’est pas le bonheur. C’est un mythe de croire que tout peut aller bien tout le temps. Comme avait écrit l’une de mes élèves de 5e année : moi, je suis heureuse « detenzantan ». La vie, et vous le savez, n’est pas exempte de conflits et de souffrances. Ça devient dangereux quand le bonheur devient une nécessité. Buvons la vie par petites gorgées avec quelques pensées à déguster telles des paroles que l’on aimerait parfois entendre comme de la part de son ado : va t’asseoir maman, je vais débarrasser ou d’un policier : vous alliez à 90? Z’êtes-sûre ? Ça doit être mon radar qui ne fonctionne pas ou de votre fils ou petitfils de deux ans : oui, oui, oui.
Je vous l’accorde, il y a des jours où rien ne fonctionne. Vous aimez mes histoires, m’écrivez-vous. En voilà une où justement, tout allait mal. Depuis plus d’une heure, un type maigrelet est assis au bar devant son verre qu’il ne quitte pas des yeux. Soudain, un routier à la forte carrure fait irruption à côté de lui, s’empare du verre et le vide d’un trait. Le pauvre homme éclate en sanglots. Allez mon vieux, c’était pour rire, je vais t’en payer un autre. Oh ce n’est pas ça, pleurniche le petit homme. Je viens de vivre la pire journée de ma vie. Je suis arrivé en retard au bureau, je me suis fait virer. En sortant, j’ai réalisé que je m’étais fait voler ma voiture. J’ai fait dix kilomètres à pied pour rentrer chez moi où j’ai trouvé ma femme au lit avec un autre. Alors, je suis venu ici. Et juste au moment où je m’apprêtais à en finir, vous vous pointez et vous avalez mon verre de poison !
Allez, mieux vaut tard que jamais, mais mieux vaut de bonheur que trop tard…
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