Pour une démocratie plus juste
Par Frédérique David
Les lendemains d’élections ont souvent le goût rance des petits biscuits que ma grand-mère garde trop longtemps dans sa boîte et qu’elle est si fière de nous servir. Honnêtement, on a hâte de les avoir avalés et on espère ne pas se les faire servir une deuxième fois. On lui pardonne quand même parce qu’elle a connu les deux guerres mondiales et la privation. Sauf que, dans le cas des élections, la rancidité atteint son apogée quand on constate que le parti qui a obtenu seulement 41 % du vote populaire a fait élire 90 des 125 députés, soit 72 % d’entre eux!
Le mode de scrutin
On en entend parler depuis des lustres, mais la réforme du mode de scrutin s’impose désormais comme une véritable urgence, malgré le volte-face de notre premier ministre. En 2018, François Legault en faisait une promesse électorale en grande pompe, lors d’une déclaration hautement médiatisée avec les chefs des autres partis d’opposition. « Je pense que les Québécois sont tannés de la vieille politique, disait-il. Le système actuel nous a bien servis, mais il montre de plus en plus ses limites. Les citoyens sentent que leurs votes comptent de moins en moins. Le statu quo vient nourrir le cynisme au Québec. » Quatre ans plus tard, force est de constater que c’est malheureusement ce cynisme qu’il nous sert depuis qu’il a été élu et qu’il a fermé à double tour la porte de la réforme du mode de scrutin, faisant fi de sa promesse. On n’en est pas à une promesse non tenue en politique, me direz-vous!
Continuer ou faire mieux?
Cette fois-ci, par contre, nos élus ont beau avoir l’ego boosté par la victoire, ils ne peuvent ignorer les chiffres. Ils devront être conscients que 59 % des électeurs n’ont pas voté pour eux. Dès lors, ce n’est pas le parti au pouvoir qui est majoritaire, mais le mécontentement! Et un mécontentement majoritaire, ça n’augure rien de bon pour le vivre-ensemble. Il faudra forcément tenter de comprendre les changements souhaités par cet électorat qui n’adhère pas aux propositions du parti au pouvoir au lieu de
« continuer » sans remise en question, sans chercher à faire mieux. Quand on réalise que le Parti conservateur du Québec a récolté 13 % des votes et n’a aucun siège à l’Assemblée nationale alors que le Parti libéral, qui en a récolté 14 %, a obtenu 21 sièges, il y a du mécontentement qui risque de se transformer en grogne. Quoi qu’on pense de ce parti, on ne peut nier le fait qu’il méritait sa part de représentation. Et on ne peut nier non plus que le Parti québécois méritait plus que trois députés puisqu’il a obtenu un peu plus de votes que le Parti libéral. Plus que jamais, ces énormes distorsions rappellent la nécessité d’un mode de scrutin qui refléterait une démocratie plus juste et plus saine!
Dans l’intérêt de tous
Avec un mode de scrutin proportionnel mixte, notre gouvernement aurait été constitué de 67 députés de la Coalition Avenir Québec, 16 députés de Québec solidaire, 14 députés du Parti libéral, 14 députés du Parti québécois et 14 députés du Parti conservateur du Québec. On s’entend que le mécontentement aurait été moindre et que le nombre de sièges obtenu à l’Assemblée nationale aurait davantage reflété le vote populaire. « L’élection générale de 2022 restera en mémoire comme l’une des plus aberrantes de notre histoire politique », a déclaré le président du Mouvement démocratie nouvelle, Jean-Pierre Charbonneau. Certes, un mode de scrutin différent aurait peut-être incité certains électeurs à voter différemment. Certes, cela entraînerait peut-être des gouvernements de coalition constitués d’un plus grand nombre de partis politiques. N’en demeure pas moins qu’on ne peut plus remettre le dossier aux calendes grecques. On ne peut plus, non plus, prétendre que le changement du mode de scrutin n’intéresse que quelques « intellectuels », comme l’a mentionné François Legault. Les chiffres parlent plus que jamais et un changement s’impose. Nombreux sont ceux qui en ont assez de ce goût âcre les lendemains d’élections.