Parents gonflables

Par Frédérique David

Être parent, n’est-ce pas la plus belle aventure qui soit? C’est ce que j’ai toujours pensé et c’est ce que je pense encore. Pis si elle n’était pas belle l’aventure, on ne serait pas aussi nombreux à essayer. Y’en a même qui essaient plus que d’autres. Des parents qui s’investissent fort pendant des années, à coup de frustrations et de contraintes, de déceptions et d’espoirs, pour parvenir enfin à l’annonce ultime en forme de bandelette colorée qui pourrait être la cousine de celle du test Covid. Même si ce n’est pas d’un virus qu’il s’agit. Du moins ce n’est pas sensé nous rendre malade.

Depuis Alta Vista

Pourtant, en 2024, ça peut rendre malade d’être parent. Plus malade qu’en 1995 et les années précédentes, et ce n’est pas la Covid la responsable cette fois! C’est qu’en 1995 est arrivé un moyen de communication qui a révolutionné le monde d’une manière qu’on ne soupçonnait même pas quand on tentait notre chance sur Alta Vista. C’est venu avec son lot d’informations en tout genre, de conseils, de recommandations d’experts et d’influences qui font les saisons. Pour les parents, c’était la manne. Plus besoin de chercher dans « Mieux vivre avec notre enfant », la bible du Québec qu’on nous remettait à l’hôpital. Ce sont des millions de pages web qui se sont offertes aux nouveaux parents sur tous les sujets, même les plus insoupçonnés, entourant la parentalité.

Pression parentale

Résultat : « près de la moitié (48%) des parents ont tendance à se mettre souvent ou très souvent de la pression concernant la façon dont ils s’occupent de leurs enfants. » C’est ce que révèle Statistique Canada. Le niveau de stress parental est particulièrement élevé chez les mères, les parents nés au Canada et les parents détenant un diplôme de niveau collégial ou universitaire. La famille (17%) et les médias et médias sociaux (12%) sont les principales sources de stress. Je réalise aujourd’hui combien j’ai échappé à cette pression parentale en mettant mon premier enfant au monde à une époque où on était accroc seulement au Game Boy et au jeu Tetris. Mon meilleur conseil pour être une bonne maman, c’était mon instinct. Bon, je ne dis pas que c’était parfait, mais on faisait de notre mieux et ça ne nous stressait pas. Nos parents nous avaient couché sur le ventre, donné du lait en poudre, trimbalé sans ceinture de sécurité dans des voitures pleines de boucane. On ne pouvait que faire mieux!

On mesure mal la pression vécue par les parents d’aujourd’hui, qui débute indéniablement avant la conception. Ça passe par l’allaitement, qui doit fonctionner coûte que coûte, les couches lavables pour le zéro déchet, l’éducation positive et la Diversification alimentaire menée par l’enfant (DME). Le cododo ne fait pas l’unanimité chez les experts, ce qui peut créer un stress supplémentaire. Et les sujets abordés sur les groupes de discussions, podcasts sur la parentalité et autres sources d’informations vont au-delà de ce à quoi on aurait pu penser. Le parent de 2024 cherche à être parfait pour voir grandir un enfant parfait. La pression qu’il se met finit par peser lourd sur les frêles épaules de sa progéniture qui l’absorbe. « Les enfants sont les symptômes des parents », disait Françoise Dolto. On s’étonne ensuite d’observer autant d’anxiété chez les élèves dans les écoles du Québec!

La compétition parentale

Intitulées « Parents gonflables », de récentes annonces publicitaires de « Naître et grandir » font état, non sans humour, de cette pression parentale qui touche particulièrement la nouvelle génération de parents. « Cours de natation, yoga bébé pleine conscience, on prend ça relax », y confie une mère en congé de maternité à une autre mère qui tente de démontrer qu’elle en fait plus. « Nous on fait de l’éveil sensoriel, de l’éveil à l’anglais et de l’éveil à l’éveil », renchérit la première qui ajoute ensuite : « on lui a appris le langage des signes pour bébé pendant la dernière poussée ». Et les autres parents de mentionner l’importance pour l’enfant d’être cultivé avant la naissance. « La culture intra-utérine, c’est aussi pour eux qu’on fait ça! », s’exclament des pères trop enthousiastes. Et même si elle est hilarante, l’annonce, qui se termine en déclarant « être parent, ce n’est pas une compétition », révèle l’ampleur d’un phénomène inquiétant.

Les Facebook et Instagram de ce monde sont devenus la vitrine de ces « parents gonflables » qui cherchent à en faire toujours plus et à publier les résultats du dernier photoshoot de la famille parfaite qui court dans les fleurs et respire le bonheur. Le drame dans cette course à « qui fait mieux et plus », c’est qu’ils en oublient l’essentiel : profiter! Ça nécessite d’arrêter de se comparer et de faire fi du regard des autres. Au nom du bien-être des enfants, il serait temps de lâcher prise.

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