Meta vs les médias

Par Frédérique David

Combien êtes-vous à lire cette chronique sur papier? Et combien seriez-vous si ce journal était payant? Soyons honnête, les personnes qui achètent encore leur journal papier doivent être les mêmes qui fument encore la pipe! Ce temps-là, pas si lointain pourtant, où on buvait notre café en lisant le journal fraichement livré à la porte est révolu. Je l’ai pourtant connu! Petite, ma fille nous demandait, à son père et moi, si nous avions connu les dinosaures. Je commence à me le demander aussi!

Perte de revenus publicitaires

Ce journal, que vous tenez dans vos mains ou sur votre écran, vit les mêmes difficultés que les autres. Sa survie est menacée. C’est pas nouveau. Ça s’est fait insidieusement avec l’avènement d’Internet. Au début, quand il fallait débrancher notre téléphone puis attendre le bip sonore pour accéder à AltaVista, on ne se posait vraiment pas de questions quant à la survie des journaux. L’arrivée de Google a certainement plus nuit aux bibliothèques qu’aux journaux. Mais c’est la montée fulgurante des médias sociaux qui a jeté une ombre sur les médias traditionnels. Facebook est passé de 608 millions d’utilisateurs actifs en 2010 à 2,96 milliards en 2022. Dès lors, les annonceurs ont rapidement quitté les médias traditionnels pour investir sur les réseaux sociaux. De 2012 à 2022, les revenus publicitaires des médias traditionnels ont diminué de 42% alors que ceux des plateformes en ligne ont plus que quintuplé (augmentant de 522%). À eux seuls, Google (incluant la filiale YouTube), Meta/Facebook (incluant les filiales Instagram et Messenger) et Twitter ont siphonné la majeure partie des revenus des médias traditionnels, menaçant leur survie. Déjà, plusieurs sont morts au combat.

La démocratie menacée

Ces pertes de revenus entrainent des fermetures d’entreprises de presse et la disparition de milliers d’emplois. De 2009 à 2015, plus de 40% des emplois dans la presse écrite ont été abolis tandis que 27 quotidiens et 275 hebdomadaires ont fermé leurs portes. En journalisme, tout le monde se pose des questions depuis plus de dix ans. Un journaliste chevronné de L’Actualité médicale, un autre média aujourd’hui disparu, m’a dit, il y a dix ans : « tu es encore jeune, retourne aux études et change de carrière! » C’est ce que j’ai fait. Comme beaucoup, le journalisme n’est plus mon gagne-pain principal. Lors d’un 5 à 7 pour souligner le départ d’un journaliste des Laurentides, il y a environ six ans, nous avions constaté avec stupeur que, sur une dizaine de personnes ayant occupé la fonction de journaliste, seulement trois l’étaient encore! Mais le véritable drame réside dans le fait que c’est un des piliers de notre démocratie qui s’effrite. Sans information, il n’y a plus de débat public! Le droit à l’information est un droit fondamental qui fait partie intégrante de la liberté d’expression. Cette menace est d’autant plus inquiétante que les réseaux sociaux sont d’importants vecteurs de fausses nouvelles en tous genres puisqu’il n’existe aucun processus de vérification, comme il en existe dans les médias traditionnels. En fait, les contenus sont poussés vers les usagers en fonction d’un calcul de prédilection des individus. Sur les réseaux sociaux, la fonction éditoriale d’un journal traditionnel est remplacée par un processus automatisé qui livre l’information qui capte votre attention, sans tenir compte de sa validité ni de sa crédibilité.

La vengeance de Meta

Devant l’état dramatique de la situation, les grands groupes médiatiques canadiens ont exigé des réseaux sociaux qu’ils leur versent des redevances. Ils jugent que leurs contenus sont repris par ces plateformes qui récoltent, du fait même, les revenus publicitaires qu’ils ont perdus. Mais Meta ne le voit pas du même œil et considère plutôt que les réseaux sociaux offrent une visibilité accrue aux médias traditionnels. Bref, le ton est monté et Meta, qui pilote Facebook et Instagram, a mis ses menaces à exécution et bloqué l’accès aux articles des médias d’information. Pire encore, Google menace de faire pareil!

Un avenir incertain

En cette ère où notre quotidien est géré par nos appareils mobiles, jamais notre droit à l’information n’a connu des heures aussi sombres! Nul ne sait qui cèdera le premier. Certainement le camp de ceux qui ont le plus à perdre de cette situation. En attendant, je réalise personnellement que les photos de chats et les recettes de cuisine me dépriment plus que les nouvelles qui ne sont pourtant pas toujours réjouissantes. J’ai donc réduit de 90% mon utilisation de Facebook et d’Instagram. Et si 70% des utilisateurs canadiens faisaient de même? Je sais, je sais, mais laissez-moi rêver qu’on est nombreux à se soucier de notre démocratie!

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