Madame B

Par Mimi Legault

D’abord, j’étais très honorée de rencontrer madame B parce que jusqu’ici, elle avait refusé bien des honneurs à son égard et quelques interviews de journaux. Je ne me vante point d’avoir su gagner sa confiance pour la bonne raison qu’elle ne me connaissait pas. Par contre, elle et moi avons une amie commune qui a interféré en ma faveur. Merci Jo.

Je vous la présente sans autre détour : Suzanne Bergeron. Son nom ne vous dira probablement rien sauf pour les skieurs du Mont Saint-Sauveur (entre autres). Elle a été et est encore professeure de ski. Directrice de l’école de ski de plusieurs stations aux monts Gabriel, Avila, Morin-Heights, Olympia en plus du mont St-Sauveur, bien sûr. J’oubliais Jay Peak. Déjà là, c’est quelques plumes à sa tuque. Sauf…

Sauf que l’an prochain, madame B soufflera 90 chandelles. Oui m’sieurs dames, Suzanne aura 90 ans en mars prochain. Faut l’faire. Lorsque je vous dis que Suzanne enseigne encore le ski, ce n’est pas ce que Trump nommerait une Fake news. Pas pantoute.

Si j’écris cet article, c’est pour propager le message de Suzanne : il ne faut jamais, mais jamais arrêter. Jamais. L’ai-je dit? Jamais. Le message est passé, Suzanne. Tout au long que durera notre rencontre, Suzanne ne me parlera pas de vieillesse ou ne dira pas ces fameux mots que la plupart des aînés répètent comme des aras pour se donner bonne conscience de ne plus pratiquer de sport : « rendue à mon âge ».

Madame B est une femme d’extérieur. À l’intérieur de la maison, tout l’embête. Ou presque. Dès qu’elle a eu l’âge de déraison, elle a joué dehors. L’enfance, l’adolescence. À l’âge adulte, elle s’est mise à faire de la natation et même de la compétition en nage synchronisée.

J’ai pensé que j’avais de la cire dans les oreilles lorsqu’elle m’a avoué en toute humilité avoir maintes fois traversé à la nage le lac des Deux-Montagnes suivie par sa sœur en chaloupe. Lorsqu’elle était seule, elle nageait aux côtés du traversier pour se rendre de l’autre côté d’Oka. Ne jamais arrêter…

L’été, si vous ne la voyez pas travailler sur son grand terrain, vous risquez de la retrouver au golf : 18 trous par jour sans l’aide d’un kart. Par jour, j’insiste. Il n’y a pas si longtemps, pour la forme, elle grimpait à pied avec son chien le côté sud du mont Gabriel.

Il y a des gens comme ça qui ne vieillissent jamais. Ça se passe dans leur tête. Comme s’ils se disaient qu’il faut bien que vieillesse se passe sans nommer la chose. C’est la peur de vieillir qui abîme davantage que l’âge. À 94 ans, Bertrand Russell militait activement pour la Paix dans le monde. À plus de 80 ans, mère Teresa travaillait dur auprès des pauvres. À 90 ans, Picasso était toujours un peintre prolifique. Luella Tyra avait 92 ans en 1984 quand elle prit part à une compétition nationale de 5 catégories en Californie. Loyd Lambert, 87 ans, était un skieur émérite qui s’occupait d’un club de ski pour les 70 ans et plus (3 286 membres). Maggie Kuhn était l’ardente défenseure, la porte-parole des Séniors Panthères grises. Finalement notre « jackrabbit national » qui a fait du ski de fond et ouvert des pistes dans les Laurentides jusqu’à l’âge de 100 ans, décédé à 111 ans.

L’âge est une démarcation artificielle. Et quand les années se pointent sans bruit, il faut faire fonctionner cette vieille machine dont la garantie est finie depuis longtemps : ça se nomme le corps. Le mystère de la jeunesse se trouve dans la passion des choses et des gens. Il est dans la persévérance de nos rêves et tant qu’il y a de l’enthousiasme, il y a de la jeunesse. La pire des rides, c’est l’ennui.

Si vous pensez que vieillir est un décès par petits morceaux, vous êtes effectivement vieux. On dit en général que, quand on vieillit, il faut renoncer à bien des plaisirs. Je dis plutôt que c’est d’y renoncer qui fait vieillir. Madame B l’a compris. Ah oui, j’oubliais. Tous les matins, à partir de 6 heures, elle déclare présente au gymnase qu’elle fréquente : ne jamais arrêter. Suzanne Bergeron peut prendre de l’âge mais elle ne vieillira jamais.

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