L’IA et nous
Par Frédérique David
Comme plusieurs d’entre nous, j’ai été marquée dans ma jeunesse par des films comme Soleil vert ou The Terminator. On réalisait alors que l’être humain serait peut-être un jour dominé par des robots. C’était dans l’ordre du possible. Ça faisait peur, mais on se disait que c’était le futur. Et le futur, c’était indéniablement très loin, même si on nous le présentait en 1999 et en 2022. Dans ma tête d’enfant, c’était si loin que je n’allais jamais rencontrer ces robots effrayants.
Dans nos vies
On y est pourtant. On ne mange pas encore des plaquettes d’aliments artificiels parce qu’on n’a pas encore épuisé toutes les ressources de la Terre. On n’est pas attaqué par des robots métalliques aux yeux rouges. Le scénario de la réalité est plus subtil. Les robots sont moins visibles. Ils ont la forme d’une intelligence qu’on dit « artificielle » et qui s’infiltre partout, sans même qu’on s’en rende compte : dans les voitures qui peuvent désormais conduire à notre place, dans nos cellulaires qui reconnaissent notre visage, dans les salles de spectacle où l’on peut assister à un show d’Elvis Presley avec sa gestuelle et sa voix, dans des logiciels qui génèrent des textes en quelques secondes et dans tout ce que j’ignore et j’oublie. En fait, la vitesse incroyable de développement de l’IA est ce qui me semble le plus inquiétant. L’être humain a-t-il le temps de se préparer à tous ces changements? A-t-il le temps de prévoir ses dangers? Est-il réellement prêt à faire face à ce qui pourrait s’avérer plus intelligent que lui? J’en doute.
Le meilleur et le pire
J’aimerais croire que l’IA améliorera nos vies en guérissant des cancers, en détectant des menaces de sécurité, en résolvant des crimes, en luttant contre les changements climatiques, mais comment prévenir une utilisation malveillante et malfaisante? Comment éviter qu’elle ne soit une menace à la démocratie? J’ai posé la question à une des principales intéressées : ChatGPT. Elle m’a parlé de sécurité, d’éthique, de contrôle et de transparence, de balises à mettre en place. C’est drôle comme elle ne répond jamais par oui ou par non à des questions comme « doit-on s’inquiéter? ». Mais tous ces beaux principes qu’elle m’énumère ne sont qu’une évidence qui en cache une autre plus inquiétante : s’assurer que les balises qui seront mises en place seront suivies. Aujourd’hui, aucun gouvernement n’a réussi à contrôler les géants du web. La désinformation n’a jamais été aussi présente. Les cyberattaques, les programmes malveillants pullulent et on voudrait nous faire croire que les risques entourant l’IA seront prévenus. C’est d’autant plus utopique qu’aucune forme de contrôle n’a encore été mise en place!
L’urgence
Le « déjà trop tard » se révèle à travers des nouvelles qui sonnent l’alarme. Actuellement, au Québec et ailleurs, les services de police font déjà face à des appels de personnes qui ont été piégées par des malfaiteurs qui réussissent à emprunter la voix d’un proche pour leur soutirer de l’argent. Personnellement, même si je me prépare à ne pas tomber dans le piège, je me demande comment je réussirai à ne pas devenir émotive à l’écoute de la voix de mon enfant en détresse empruntée par un robot. Parce que moi, contrairement à lui, j’ai des émotions!
Force est de constater que l’IA évolue plus rapidement que notre capacité à s’adapter et que personne ne peut prédire l’avenir dans ce contexte. Une chose est sûre, nous sommes dans un tournant de l’histoire encore plus grand que celui que l’on a connu avec l’arrivée d’Internet. Nos vies changeront. On parle déjà de 300 millions d’emplois qui pourraient disparaître. Ça va forcément modifier nos vies.
Et pour que l’IA ne devienne pas une menace, il faudrait que ceux qui sont les « gardiens » de la démocratie fassent preuve de rigueur, d’éthique et de connaissances approfondies. Ce ne sont pas les Donald Trump et les Kim Jong-un de ce monde qui seront garants d’une utilisation bienveillante et éthique de l’IA. Ce n’est pas non plus en nommant des Éric Caire à la tête du ministère de la cybersécurité et du numérique qu’on avancera plus vite que l’IA dans la mise en place de balises. Actuellement, les experts de l’IA ne sont pas au gouvernement parce qu’on agit face à l’IA avec le même déni que celui démontré depuis des années face au réchauffement climatique.
En décembre dernier, Radio-Canada diffusait une émission spéciale de deux heures sur l’intelligence artificielle. Un des cerveaux de l’IA, Yoshua Bengio, n’a pas caché ses inquiétudes. Lorsque Patrice Roy lui a demandé si la machine pourrait devenir nos maîtres, il a répondu « je ne l’exclue pas du tout ». L’urgence d’agir est évidente et l’immobilisme de nos gouvernements est inquiétant. Comme l’écrivait le formidable David Goudreault dans Maple, « à force de tout remettre au lendemain, nos lendemains ne s’en remettent pas. »