Les mauvaises herbes

Par Frédérique David

À l’école primaire, on enseigne aux élèves le débat. Ils apprennent comment trouver des arguments et des contre-arguments, comment les présenter, les formuler, répondre aux objections. Ils découvrent les techniques à utiliser pour formuler un argument. Ils voient les procédés à éviter lors d’un débat, comme l’attaque personnelle, l’appel au stéréotype, l’appel au clan, l’appel au préjugé, l’appel à la popularité ou l’argument d’autorité. Ils apprennent à respecter et écouter les autres et à s’exprimer dans un langage clair, précis et respectueux. Vous me voyez venir? Oui, certaines personnalités publiques auraient beaucoup à apprendre de ces élèves du primaire!

Des exemples à ne pas suivre

Le plus désolant est de constater que ce sont des personnes qui occupent des postes de journalistes ou de politiciens, et qui usent donc du débat comme une infirmière manie la seringue, qui auraient besoin de retourner sur les bancs d’école. On s’attendrait à ce qu’ils nous servent un langage distingué et des arguments mûrement réfléchis plutôt que des « connasses » ou des « bâtards » comme le fait allègrement Gilles Proulx depuis des décennies. On aurait pu penser que, puisqu’il a jugé bon d’acheter un faux diplôme d’études supérieures, tel que révélé par l’émission Enquête en 2012, il aurait mis beaucoup d’énergie à apprendre sur le métier et à s’élever au rang d’un véritable diplômé. On aurait souhaité qu’il montre l’exemple à ces élèves du primaire au lieu de cultiver cette haine ordinaire qui sert de semences aux mauvaises herbes qui envahissent les réseaux sociaux.

Des blâmes, et puis?

Les Gilles Proulx de ce monde ont au moins le mérite de servir de contre-exemples aux enseignants et aux professeurs et d’alimenter le fameux « Club des mal cités » du fabuleux Olivier Niquet. N’empêche que je ne comprends pas que cet homme qui a passé sa vie à insulter publiquement du monde ait pu garder le titre de journaliste. Pire encore, je ne comprends pas que des médias et de grandes institutions aient pu lui offrir de prestigieux postes et qu’on lui ait décerné quantité de prix pour sa contribution au journalisme. Ce faisant, on cautionne ses propos haineux, discriminatoires, sexistes et grossiers. Ce faisant, on lui dit de continuer. Pire encore, on laisse entendre qu’il est un exemple à suivre, même si, parallèlement, il collectionne les blâmes du Conseil de Presse. Blâmes qui, visiblement, l’affectent aussi peu que le mal qu’il peut faire aux personnes qu’il insulte publiquement et sans argument valable.

De l’ombre à la profession

Être un journaliste d’opinion ne signifie pas qu’on peut tout dire et n’importe comment. Cela exige de respecter certaines règles, comme le fait l’élève du primaire qui apprend à débattre. Ces règles, dictées par le Code de déontologie journalistique, exigent que l’on ne tienne pas des propos discriminatoires qui pourraient susciter et attiser la haine et le mépris et entretenir des préjugés. Pourtant, c’est ce que Gilles Proulx fait depuis des décennies au nom de la liberté d’expression. C’est même devenu sa marque de commerce et d’autres s’en sont inspirés depuis. Parce que ça fait parler et ça génère des clics. Et c’est bien la triste preuve que quelque chose ne va pas. Accepter cette violence verbale parce qu’elle génère de la visibilité et des profits, c’est plonger toute la profession dans une noirceur dont elle peine à se défaire. C’est enlever de la crédibilité à ceux qui s’efforcent de faire un travail rigoureux et de qualité.

L’inacceptable

J’ose espérer que la récente intervention de Gabriel Nadeau-Dubois, qui a dénoncé les propos « violents, haineux et dégradants » du chroniqueur Gilles Proulx, mettra un terme à cette acceptation de l’inacceptable. Au fil du temps, Proulx s’est montré particulièrement odieux et irrespectueux envers les femmes. Il a dépassé les bornes le jour où il s’en est pris à une adolescente victime d’un viol et d’une tentative de meurtre en la traitant de « petite cochonne », de « petite garce » et de « provocante ». C’était en 2005. Personne n’a jugé bon de le mettre à la porte. On a préféré la montrer à des femmes d’âge mûr pour les remplacer par des hommes!

J’ai lu récemment l’excellent essai du chroniqueur Olivier Niquet, « Les rois du silence ». J’en ai extrait cette citation très à propos : « L’outrance est maintenant universellement accessible, elle s’est démocratisée ­ une situation qui pourrait mener à notre perte, il faut le dire. On peut quand même se demander si, à l’inverse, insuffler un peu de la retenue des introvertis chez nos Cyrano de l’opinion publique pourrait sauver l’humanité des affres de la polarisation destructrice qui risque d’emporter notre civilisation. »

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