Le silence dort
Par Mimi Legault
Il y a parfois des éclats de vérité qui explosent autour de vous comme une flûte à champagne qui tombe sur du terrazzo. C’est arrivé, cet été. Comme ça sans crier gare. Un chemin de campagne, un temps de carte postale, une journée dentelée de moments de grâce : soudain, je me suis arrêtée, je n’ai plus rien entendu. Rien. Que du silence autour de moi. Un silence retentissant pour l’âme.
Vous me direz, mais tu dois en fumer du bon, Mimi. Du silence, il y en a partout ! Ah ouin ? Peut-être bien. Mais ce silence-là m’a frappée de plein fouet. Il est venu droit sur moi, sans un mot, cela va de soi. J’ai voulu le contourner parce que je ne le reconnaissais pas. Il avait maigri et portait terne son teint. J’ai regardé autour de lui en criant : qui es-tu ? Plus personne, le silence avait disparu. J’ai attendu, le souffle court. Il est revenu. Je n’ai pas osé dire un mot, mais je l’ai remercié au fond de mon cœur. Il m’a entendue…
Car enfin le silence est absence de bruit. Mais, plus besoin d’aller en ville pour entendre du tintamarre. Mon village croupit sous du vacarme presque constant. Le tohu-bohu a pris du galon. Le dix-roues est devenu le roi du bitume, la moto pétarade la Principale, la construction nous martèle en tête, les sirènes de police, de pompiers, d’ambulance avec leurs 50 watts nous rappellent régulièrement que nous sommes en vie… le jour comme la nuit. La musique de certains restos, si on peut appeler ça de la musique, vous mitraille le tympan et vous empêche de communiquer avec l’autre. Et si ce n’était que cela. Maintenant, c’est une sorte de mode : dans la rue, au magasin, dans l’autobus, on parle au cellulaire le haut-parleur ouvert. On fait savoir au monde que l’on existe. On ne répond plus à l’appel, on se répand. J’imagine que ça doit être bon pour l’égo (pas pour Legault en tout cas…). Et les stations de ski vous répondent joyeusement par la bouche de leurs canons… à neige.
On entre chez soi en croyant avoir mérité un peu de paix. Paaaaaas du tout. Le ou la coloc ou qui vous voudrez écoute des programmes enregistrés à la télé. Les enfants crient leur jeunesse, les ados se taisent à tue-tête pour écouter leur heavy metal. Le chien jappe, le mari zappe, parfois c’est le contraire… Et le silence ? Il a perdu son droit de parole, le silence. Il est devenu fou et ne sait plus où se réfugier.
Mon tympan est en burn-out. L’autre jour, mon jeune neveu est venu me rendre visite : il m’a dit, j’adore ta musique, ma tante. Justement, il n’y en n’avait pas… Le cinéma ne donne pas sa place. Certains y vont pour manger. Crounch crounch le pop corn ! Et parfois, je prendrais la zappette pour baisser le son de ce super écran. Mais j’adore le 7e art !
Je ne fréquente plus les discothèques par crainte d’augmenter le nombre de patients en psychiatrie. Parce qu’à la disco, c’est la déchéance totale pour l’oreille. Une épidémie de cacophonie. Une sorte de bruit de ferraille qui fait vibrer votre plexus solaire à l’envers. On dirait que de nos jours, tout ce qui ne fait pas de bruit n’intéresse personne. Les ORL ont de l’avenir avec tous ceux qui seront atteints d’acouphène. Je sais, j’exagère. D’ailleurs ma mère m’a déjà dit un million de fois de ne pas exagérer !
Ce qui dérange le bipède moderne c’est que le mot silence rime avec solitude, vide, intériorité. Parce que le tragique chez l’Homme d’aujourd’hui, ce n’est pas son ignorance face au sens de sa propre vie, mais le fait qu’il s’en fout complètement. Moé, veux rien savoir s’tie… Il ignore que le vide, c’est plein mur à mur. Tiens, on devrait élever une statue au silence !
Il y a une expression qui dit « faut meubler le silence ». Voyez ? Le silence désormais est comme un kit prêt à monter à coups de marteau et de tournevis… Un silence-IKEA… On aura tout entendu !