Le barbier
Par Journal-le-nord
L’image que me reflète le miroir n’est pas celle que j’espérais. Pas que je ressemble à Brad Pitt ni de proche ni de loin en temps normal, mais disons que je fais encore plus dur qu’avant. Ce projet né sur un coup de tête, ce qui est bien nommé dans cette circonstance, ne donne certainement pas les résultats escomptés. Disons que le produit final ressemble plus à un champ de bataille. Au fait pour dire la vérité, se substituer à un barbier n’est pas à la portée de tous.
Cette idée saugrenue m’est venu sous le capot capillaire alors que ma chevelure était devenu un sujet à éviter. Sur le dessus se dressait un toupet pour le moins difficile à dompter. Je n’ose qualifier d’un adjectif décent, les deux côtés de ma tête. À cet endroit, des mottes de chevelure de formes disgracieuses pointaient parallèlement au sol .
Après un quart de siècle à visiter à tous les mois et demi le même barbier, j’en étais venu à me dire que si Guy, cet artiste du ciseau et du rasoir était capable de me donner une allure somme toute potable, bien pourquoi pas moi? Grave erreur de jugement de ma part, que je j’associerais directement au confinement et à la perte de repère relié à cet état de fait.
Guy, cet homme de talent a son petit salon au milieu du quartier. Il y travaille seul depuis la nuit des temps. Mon père allait se faire couper les cheveux style « brosse « et peu d’entretien par le paternel de Guy et j’ai nommé monsieur Léon. Ensuite le fils s’y est installé avec le même talent que son prédécesseur et les mêmes discussions entamées des décennies auparavant ce sont continués comme si de rien n’était. Avec la différence près que le jeune coiffeur s’est montré plus rapide et surtout plus artistique et innovant . Ce qui lui valu avec le temps une clientèle élargie sans toute fois se départir de ses vieux clients . Dans ce petit local nous y entrons et prenons un numéro afin que tous sache le temps qu’il lui reste à attendre avant de passer au clipper. Ce système ingénieux instauré par monsieur Léon permet aussi de savoir le nombre exact de client ayant passer par jour, donc l’achalandage en boutique.
Le petit local est décoré d’une seul chaise de barbier authentique, tournante sur elle-même et dédiée au travail de l’artiste. De grands miroirs sont disposés en face et derrière le client. Des reproductions de pêcheurs à la mouche et des canards de bois. De plus certaines copies des plus populaires de Norman Rockwell sont accrochés au mur donne à l’établissement un petit air de campagne.
De longs bancs en bois coussinés, ainsi qu’une table couverte de jourrnaux du jour, le tout agencé pour une conversation de groupe. Après chaque client , Guy appelle le prochain par un « COME ON DOWN » exactement comme le faisait Bob Barker du jeu télévisé THE PRICE IS RIGHT. Je n’ai jamais vu Guy de mauvaise humeur. Se rappelant de toutes les coutumes de tonte de chacun. Toujours au fait des nouvelles du quartier et la mémoire aiguisée sur chacun de ses clients réguliers. Cet artiste nous accueille sur sa chaise comme un membre de sa famille. Nous discutons alors de tout et de rien, de sports bien entendu, tout comme de finances et de nos maisonnées respectives.
Notre barbier a donc fermé ses portes pour que le temps passe et que le virus passe son chemin lui aussi. Ce qui, à première vue ne semble pas si nécessaire et essentiel le rôle effacé d’un barbier a quand même sont importance. Par contre une couette qui retrousse ou un cuir chevelu qui devient rebelle peut développer un questionnement et mettre en branle du même coup une piste de solution que je qualifierais de dangereuse.
Ainsi après de longues heures de réflexion je pensais bien me souvenir de la technique employé par mon barbier favori. La première erreur fût de mésestimer la hauteur de la lame du rasoir. Le son surprenant et le résultat, créa une « trail capillaire » ou, je devrai attendre plus longtemps pour que ça repousse à cet endroit précis.
Quelques mots d’église plus tard je recommençais et cette fois-ci, l’aboutissement de ce deuxième effort me sembla un peu plus convenable. Sauf bien entendu, le fossé laissé par le premier coup de rasoir laissant une trace visible sur mon crâne, qui avait tendance à attirer plus l’attention que le reste de mon œuvre.
Le fait étant, que je voulais avoir les côtés plus courts que le dessus, rendait cette mission délicate et périlleuse. Les flancs de ma tête maintenant dépossédés de cheveux superflus représentaient à mon humble opinion un travail terminé et somme toute, pas si pire. Je m’attaquais alors au dessus de ma chevelure avec la dextérité d’une truite hors de l’eau.
Le résultat, à vue d’oeil du moins, du dessus de mon crâne, n’était pas plus reluisant que les côtés mais tout de même peut-être me donnait-il, pensais-je sur le moment un air plus coquet. Du moins avant que ma femme entre dans la pièce et pousse un cri de désespoir. Ce qui eu pour effet de me faire comprendre que mon succès était peut-être comme une peinture abstraite.
Ainsi une toile de ce type peut-être vu comme un chef d’oeuvre pour les uns alors que les autres verrons cette même peinture comme un désastre.
Par la réaction de mon amoureuse je crus déceler que cette dernière penchait pour cette deuxième alternative concernant ma nouvelle apparence.
Faut dire que j’avais oublié dans mon enthousiasme qu’il existait un derrière de tête. Cet endroit non visible lors de l’affrontement entre moi et le rasoir me fût rappelé par ma douce moitié , qui était faut- il le préciser un peu moins douce lors de cette explication. Je fus donc un peu surpris, d’avoir oublié si rapidement cette partie de mon anatomie Ce qui n’arrangeait vraiment pas le décor de ma personne, il fallait bien que je l’assume.
Ma femme et épouse dévouée a bien tenté de rectifier l’apparence, en y allant cette fois-ci d’une coupe dite brosse, l’effet fût saisissant . La ressemblance avec mon père était frappante.
Donc pour tout dire dans ce miroir, l’image qui me revient n’est pas ce qui était au départ convenu avec moi-même. Ressembler à mon aïeul n’était pas disons mon premier souhait. Sans le déshonorer, comme il aurait dit, lui-même. Mais l’image que je me faisais de moi-même, avant cette philosophique aventure était tout autre que celle qui m’apparaissait dans ce reflet..
Mais depuis ce temps je porte une casquette avec un orignal dessus ce qui me donne maintenant à mon avis très personnel bien sûr, un air plus jeune.
Je me trouve aussi une petite ressemblance à ……. personne au fait.
Guy me manque terriblement.
Marc Desjardins Avril 2020