La faille merveilleuse
Par Frédérique David
Notre littérature, au Québec, n’a jamais été aussi riche de talents, d’audace, de dépassement, de poésie, de genres réinventés, d’explorations humaines, de réflexions sur notre société (aussi malade que les autres après tout). Il faut dire que les autrices et auteurs québécois jouissent d’un champ lexical plus grand depuis que des Vigneault, Tremblay et Desjardins de ce monde l’ont hissé au rang de la poésie. Aujourd’hui, des David Goudreault, Caroline Dawson, Jean-Philippe Pleau, Marie-Hélène Voyer, Dominique Fortier et tant d’autres s’illustrent en tant que magiciens des mots, éclaireurs de conscience, allumeurs de beauté, déclencheurs d’émerveillement au fil des pages tournées.
Les Villes de papier
En 2020, Les Villes de papier de Dominique Fortier m’avait profondément bouleversée. J’y ai vu un talent rare, un style d’une grande beauté, une délicatesse, une fragilité, un livre qui se range dans une classe à part et qu’on veut relire les jours de pluie. Elle a remporté le prestigieux prix Renaudot, catégorie Essai. C’était tellement mérité.
Mourir de froid…
Dans la même veine de tendresse, de beauté et de délicatesse, Nathalie Plaat, qui signe également de magnifiques chroniques dans Le Devoir et enseigne à l’Université de Sherbrooke, a récemment publié Mourir de froid, c’est beau, c’est long, c’est délicieux. Le titre est extrait d’une chanson de Richard Desjardins, comme ceux de chacun des chapitres, en hommage à celui qu’ils écoutaient ensemble, Chopin en prime. L’essai nous plonge dans une histoire d’amour et de folie unique, tendre et belle. L’écriture est empreinte d’une grande poésie, d’une infinie douceur, d’un amour qui dépasse les frontières dressées par les voix intérieures de l’être aimé. « Je me souviens de ta faille comme d’une merveille aussi, tant elle me bouleversait, tant elle me ramenait au cœur de cet espace de liberté de l’amour que je passerais le reste de ma vie à rechercher. »
Sa belle folie
Le livre s’inscrit entre le récit, l’essai et la poésie et raconte cet amour unique, improbable et infini, celui qui a fait naître en Nathalie Plaat le désir de devenir psychologue clinicienne. Elle y évoque sa « folie », comme elle se plait à la nommer parce que c’est plus beau que tous les termes médicaux qui rangent des humains dans des cases à part. Cette folie qu’elle a voulu s’approprier un peu, jusqu’aux limites du possible, avec laquelle elle a dansé pour mieux rester près de l’être aimé, pour prolonger ces instants où les corps ne font plus qu’un à l’abri des menaces du monde trop rangé, trop conventionnel, trop menaçant. « La vie me paraît plus belle quand elle est portée par des personnes qui continuent de déborder le cadre de ce que nous avons institué comme la normalité », mentionnait l’autrice et psychologue dans une causerie à laquelle j’assistais. Nathalie Plaat livre ici un tendre et bouleversant hommage à ceux qui sont habités par cette folie à la fois belle et sournoise, un hymne à leur corps, leur âme, leurs désirs d’êtres humains.
La déshumanisation du système
Nathalie Plaat est de ces thérapeutes qui tentent de réhumaniser, de redonner un sens à la relation d’aide. Elle est de ceux qui souhaitent considérer l’être humain dans sa globalité, avec son corps qui fait partie de lui et qu’on sépare trop souvent de l’esprit. « On psychopathologise des états humains », déplore-t-elle. Son livre est une ode à la folie, une déclaration d’amour à l’humain, avec toutes ses différences qui le rendent unique. Il est aussi le constat d’une impuissance. Un rappel à l’humilité. « Mon échec avec toi, alors que je t’aimais avec cette entièreté qui combinait à la fois mon corps, mon esprit et ma radicalité fusionnelle, aura ouvert la voie à ce savoir de ma juste place dans ce métier : ni héroïne ni sauveuse, simplement là. »
Plus qu’une histoire d’amour d’une rare beauté, ce livre est le témoignage magnifique et bouleversant d’une présence à l’autre authentique, entière, belle et nécessaire.