Je ne suis pas un cadeau
Par Mimi Legault
Aussi bien le dire franc : je n’aime pas les fleurs. Ni pour en cultiver ni pour en recevoir. Ouf ! Ça me fait du bien de sortir le morceau. Pensez-y : tous ceux et celles qui m’en ont offert tomberont de haut. Leur geste me touchait, pas les fleurs. C’est l’bouquet, me direz-vous. Mais à moment donné, une fille se fane.
Ou peut-être que ce sont elles qui me détestent. Sais pas. Ce dont je suis certaine, c’est que je ne suis même pas foutue de faire pousser un géranium; que mon cactus est mort d’une overdose d’hydratation et que mes ex-violettes africaines devaient se dire en me voyant arriver : oh non, pas elle ! Elles avaient plutôt envie d’enfiler des bottes de sept lieues. Toutes décédées. Aux funérailles, je leur ai envoyé…des fleurs. Sérieusement, impossible de me pâmer devant des roses, je n’y vois que des épines. Une seule exception : un jour, dans une auberge, un bouquet d’anémones posé sur une nappe blanche m’avait presque (j’ai dit presque) émue.
J’ai connu ma grand-mère Marie davantage du cul que de la tête. Elle demeurait à deux pas de chez nous, et ne vivait que pour ses fleurs et son jardin. Ce qui fait que lorsque nous passions devant chez elle, elle était toujours penchée vers sa végétation. Lorsqu’on entrait dans son immense maison, elle nous conduisait irrémédiablement dans son salon comme un mini Jardin botanique. Un soir, grand-maman appelle la famille Legault à venir voir s’ouvrir une fleur dont le nom m’échappe encore. Ça va se passer exactement à 20 h 23, qu’elle avait promis. Pour l’enfant turbulente que j’étais, j’avais refusé net d’y aller. Mais bon, elle avait dit toute la famille.
Par entêtement, j’avais détourné la tête. Effectivement, ô miracle, la fleur s’était épanouie à l’heure prévue sous les yeux ahuris de mes parents et de mes sœurs. Maman m’avait fusillée du regard, ça sentait à plein nez la science-friction. Elle paraissait à fleur de pot.
Mais tout est relatif dans la vie. À preuve, cette histoire vécue. Ma mère était fiancée à un dénommé Maurice. Lorsque mon père, un parfait inconnu, était entré au magasin dans lequel elle travaillait, ce fut le coup de foudre total et réciproque. Boum badamoum ! Le soir même, il l’invita pour une balade en auto et maman accepta dans le plus grand secret. Manque de chance, ils eurent un gros accident et ma mère se réveilla à l’hôpital. La machine à rumeurs était partie dans leur patelin. Scandale ! Le pauvre fiancé Maurice allait quotidiennement lui porter un immense bouquet à la grandeur de sa peine. Sitôt parti, ma mère le jetait à la poubelle alors que mon père suivait avec trois marguerites et deux pissenlits qu’elle déposait amoureusement dans un petit verre d’eau.
Non vraiment, je préfère planter tout d’un seul coup et faire du sport. Ou cultiver des sourires ou encore semer de bonnes idées. Croyez-moi, la récolte est tout aussi abondante.
Je ne suis pas un cadeau, et pourtant, je m’emballe facilement. Sans aide bien sûr… Tant qu’à y être… Je n’aime pas non plus recevoir des chocolats. Ce n’est pas original. À la Saint-Valentin, les Américains ont offert 27 000 tonnes de chocolat à leurs femmes ou leurs amantes. C’est du chocolat ça monsieur ! Et je déteste toute forme de parfum. Lorsque quelqu’un me tend une joue odorante (selon elle ou lui), j’ai juste le goût d’aller boire un jus de tomates comme si je venais de virer une brosse. Et ce qui m’horripile, c’est de recevoir en cadeau un objet qui ne s’échange pas. Un exemple ? Douce Moitié et moi avons déjà reçu une toile en cadeau. De l’abstrait ! J’avais même posé le cadre à l’envers avant d’apercevoir la signature en haut. Lorsque cette généreuse donatrice nous visitait, Douce Moitié lui trouvait une place de choix éphémère dans le salon…
Jeune adolescent, le fils de l’une de mes amies avait dicté sa carte à la fleuriste au téléphone : à la plus belle de toutes qui me tarde tant de revoir. Sa mère avait versé une larme jusqu’à ce qu’il ajoute : c’est pour envoyer à trois filles !…
C’est vrai que je ne suis pas un cadeau, n’empêche que je vis le présent pleinement !