Féministe : un devoir!
Par Frédérique David
« En sortant d’ici ce soir vous allez tous être féministes!, prévient Sophie Cadieux dans la pièce Féministe pour hommes. Il y a à peine 20 ans, être féministe, c’était beaucoup moins trendy. Tu disais que t’étais féministe et tout à coup t’avais les cheveux gras. C’était la cause de merde qui donnait l’herpès et la frigidité en même temps! » Le ton est mis pour un spectacle drôle, décapant, intelligent, déroutant et nécessaire qui sera de passage à Sainte-Agathe en avril et à Saint-Jérôme en juin.
À l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, quoi de mieux que ce spectacle à mi-chemin entre le stand-up comique, le théâtre et le manifeste, pour aborder le féminisme de manière décomplexée? Dans une performance magistrale, au cours de laquelle elle enchaîne les mouvements de zumba (clin d’œil à la pression subie par les femmes pour correspondre aux standards de beauté!), Sophie Cadieux nous fait passer du rire aux grincements de dents en défilant statistiques, théories, explications, confessions et dénonciations. Et rassurez-vous, elle ne joue pas à la donneuse de leçons. Elle précise même être bien consciente de sa posture de femme cisgenre, hétéro, blanche et privilégiée.
De grandes avancées au Québec
Écrit par l’autrice et comédienne française Noémie de Lattre, « Féministe pour homme » a été brillamment adapté par la dramaturge Rébecca Déraspe et mis en scène par Alix Dufresne. La version québécoise aborde des enjeux locaux, comme la disparition des femmes autochtones. Mais plus encore, les trois femmes à l’origine de cette version québécoise étaient conscientes que le Québec a une longueur d’avance sur la France en ce qui concerne les droits des femmes et la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme. Ici, une femme ne se fait pas siffler dans la rue! D’ailleurs, le titre du spectacle mettait mal à l’aise les trois artistes. Ne pouvant le changer, elles ont ajouté « Guide de survie pour tous(tes) » en sous-titre, car il se veut avant tout inclusif. N’empêche que malgré les avancées, les agressions sexuelles et les féminicides sont encore bien présents. Quand la comédienne demande à son auditoire de dire, par applaudissement, qui a déjà eu peur de se faire violer, on se prend une solide claque dans la face!
Les avancées et les reculs
Le monologue irrévérencieux, provocateur et bienveillant pose un regard féministe et moderne sur une foule de sujets sensibles comme les relations de couple, la sexualité, la façon dont on éduque les enfants selon le genre, la carrière, l’avortement, la violence obstétricale, le vieillissement, la maternité, le patriarcat ou la marchandisation des femmes. Captivante du début à la fin, Sophie Cadieux nous fait réaliser à quel point les luttes sont encore nombreuses et diversifiées.
La méconnaissance du sexe féminin
Une section du spectacle consacrée à l’anatomie du sexe féminin s’avère particulièrement instructive et nous fait prendre conscience que le plaisir féminin a, pendant longtemps, été totalement ignoré… puisqu’il n’était pas nécessaire à la reproduction! Merci au gynécologue Ernest Grägenberg, qui a donné son nom au point G, d’avoir été le premier à parler de cette zone de sensibilité chez la femme. Des années 1930 aux années 1960, le mot « clitoris » n’était plus dans les dictionnaires. Ces mêmes dictionnaires qui, sur décision de l’Académie française, ont longtemps normalisé le masculin de nombreux mots alors qu’au XVIIe siècle, on disait autrice, poétesse, capitainesse et jugesse.
Le spectacle « Féministe pour homme » permet à plusieurs d’apprendre que le clitoris mesure environ 12 cm et qu’il possède plus de 10 000 terminaisons nerveuses, soit bien plus que le sexe masculin. Il faut dire que cette dernière découverte a été faite… l’an dernier! La précédente étude sur le sujet datait du siècle dernier et avait été menée sur des clitoris de mouton et de vache! Même les médecins connaissent mal cet organe féminin puisque l’étude d’une chercheuse française, en 2021, a révélé que 84% des 1168 personnes interrogées n’ont jamais eu de formation sur le sujet! Bref, on a encore du chemin à faire pour que la femme ne soit pas « le deuxième sexe », pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Simone de Beauvoir.
D’autres luttes
En cette période sombre pour les droits des femmes où le nombre de pays qui interdisent l’avortement est en constante augmentation, le féminisme est un devoir, plus que jamais. Amenez vos ados voir ce spectacle pour qu’ils réalisent qu’encore aujourd’hui, le mot « vainqueur » ne se décline pas au féminin et que plusieurs stéréotypes ont besoin d’être déconstruits. Le féminisme est un humanisme. Il consiste à lutter tous ensemble contre la stigmatisation d’une personne face à une autre, tout simplement.