Et on appelle ça le progrès !
Par Mimi Legault
Ma grand-mère Marie a écrit sur de vieilles feuilles quelques pensées bien à elle. Sur l’une d’elles, il y avait ce titre : Bruits de mon enfance. « J’aimais entendre le grattement du balai de paille sur le tapis, le choc de la fourchette lorsque ma mère battait le blanc des œufs, le frou-frou du savon dans la cuve, le frottement du linge sur la planche à laver, les battements réguliers de l’horloge grand-père. En été, j’entendais le grincement de la vieille balançoire sur la galerie, la voix rauque et forte du marchand de légumes et les bruits des sabots de son cheval ». C’est probablement l’un de ses enfants qui a écrit humoristiquement en-dessous : « et maintenant, on entend le bourdonnement de la pendule électrique, le bruit de l’aspirateur, le gémissement aigu du malaxeur et la plainte de l’aspirateur. Désormais, ce sont les hurlements de la radio, de la télé, de la tondeuse, des autos et des motos ».
Plusieurs d’entre vous se souviendront des bouteilles de lait; on n’avait qu’à tirer sur la languette. Puis, un p’tit génie a créé la boîte en carton. Savez celle avec un bec verseur supposée s’ouvrir par une simple pression des pouces. Chaque fois, je me bats avec elle, devinez qui gagne… Il finit par se décoller et le lait pisse partout sauf dans mon verre. Progrès ! Il était une fois aussi un simple sac en papier brun où l’on rangeait nos emplettes. Quelqu’un eut l’idée un jour de le remplacer par un sac en plastique alors que ce dernier est devenu une source de pollution considérable durant tout le cycle de sa vie. Dans sa fabrication, il contient des produits pétroliers, émet des gaz à effet de serre. Progrès !
Sérieux, vous croyez que la religion n’a pas connu le progrès ? Je pense plutôt qu’il y a des gens qui se trouvent en enfer en s’exclamant : et dire que je suis ici pour une chose qui n’est même plus péché… Tout n’est que progrès, mais je ne vous annonce rien en vous disant que certains avancent de reculons. Pourtant, je sais fort bien que grâce au progrès, plusieurs secteurs ont connu des avancées formidables pour ne penser par exemple qu’à la santé. Mais comment dire, le progrès, c’était sans doute fort bien à un certain moment, mais il dure depuis trop longtemps.
Quand c’est rendu qu’à un répondeur d’une compagnie, on entend : cher client numéro 926, votre nom est important pour nous. J’ouvre ici une parenthèse qui n’a rien à voir avec mon sujet, mais vous risquez de comprendre le lien. Cet hiver, on m’a volé ma pelle et un p’tit comique m’a laissé un mot : votre pelle est important pour nous…. En tout cas.
Aujourd’hui, le travailleur se rend à son bureau climatisé, en auto climatisée, à son club climatisé pour aller suer au sauna ! L’autre jour, en parlant avec un ami, ce dernier m’a avoué que s’il avait passé les dix dernières années sur une île déserte et qu’on l’avait finalement retrouvé en lui faisant lire les nouvelles de par le monde, il choisirait de demeurer sur son île.
Regardez le progrès avec l’auto d’aujourd’hui. Bientôt, plus besoin de conducteur : non mais je vous le demande, qui engueulera-t-on? Êtes-vous prêt à gager que d’ici quelque temps, le vendeur d’automobiles dira au client : et quand vous appuyez sur ce bouton, la date de votre prochain versement apparaît en rouge sur votre cadran.
Cette pensée de Prévert : le progrès est un cul-de-jatte qui marche à pas de géant. Ça fait plusieurs années de cela, un bon papa décida de faire faire du camping sauvage à sa famille. Des aiguilles de pin pour lits, un cercle de pierres dans le cours d’eau pour y déposer la nourriture, une simple grille pour la cuisson. La petite dernière arriva et demanda : papa, si nous t’apportons d’autres pierres, est-ce que tu feras une télé ?
Et on ne parlera pas côté nucléaire. Alors là… Comme a si bien dit un homme des cavernes : d’abord des roches, puis des bâtons et des haches et maintenant des arcs. Je te le dis mon vieux, j’ignore où nous mènera cette course aux armements ! Progrès !