Droit à l’avortement: Roe renversée
Par Simon Cordeau
Salut Marie-Catherine,
C’est officiel. Le droit à l’avortement n’est plus constitutionnel aux États-Unis, notre voisin.
Sur les 50 États américains, 13 ont des lois qui le criminalise immédiatement, 9 sont certains d’emboîter le pas, et c’est probable dans 4 autres. C’est dire que, bientôt, se faire avorter sera interdit dans la moitié des États.
La décision a été rendue par la Cour suprême. 6 juges contre 3. On peut même y lire que le juge Thomas ouvre la porte à reconsidérer les droits à la contraception et au mariage de même sexe.
« Keep sweet »
Dans tous les médias, on a comparé la décision à La Servante écarlate, le roman dystopique (et prémonitoire) de Margaret Atwood. Et il faut définitivement le lire : c’est une histoire captivante et terrifiante, surtout que son cauchemar est en train de devenir réalité.
Mais pour moi, la fiction est encore trop loin de ce recul historique. Le choc, de voir des droits disparaître dans la plus grande et vieille démocratie au monde, est trop réel. Pour comprendre l’ampleur du moment, je crois qu’il faut quelque chose de plus cru.
Personnellement, je trouve une série documentaire comme Keep Sweet: Pray and Obey sur Netflix plus troublante, peut-être plus révélatrice.
On y découvre une secte mormone fondamentaliste où la polygamie est nécessaire et centrale à leur foi. L’un des ex-fidèles explique que les hommes qui prennent trois femmes pourront accéder au plus haut niveau du paradis. Aux côtés de Dieu, ils pourront créer des mondes, des galaxies : bref, devenir dieux eux-mêmes.
« Et pour les femmes? », demande l’intervieweuse. L’intervenant réprime un rire. « C’est moins clair ce qui arrive aux femmes dans l’au-delà. » Lorsque le leader de la secte meurt, il avait 65 femmes. Ce qu’il leur répétait toujours? « Keep sweet. »
Réalités historiques
Plus cru encore, j’écoute en ce moment une série YouTube sur la Seconde Guerre mondiale. World War Two suit le conflit de 6 ans, semaine par semaine. Ils sont en juillet 1943 en ce moment. J’aime beaucoup leur sous-série On the Homefront, qui donne une place privilégiée au sort des femmes. Pendant que les hommes s’entretuent au front, elles restent à la maison, s’occupent des enfants, doivent les nourrir malgré les rationnements, travaillent dans les usines à faire des armes, et subissent les bombardements.
Mais leur dernière vidéo s’intéresse aux efforts déployés par les Nazis pour garder la race pure. On y apprend que les femmes, même si elles appartiennent à la supposée « race suprême », sont essentiellement réduites en esclavage. Pour l’État qui contrôle tout, même comment elles doivent être mère, elles ne servent qu’à une chose : procréer.
Loin de moi l’idée d’aller au point Godwin sur ce qui se passe chez nos voisins du sud. Mais c’est un rappel brutal que les droits des femmes sont fragiles.
On essaie, encore aujourd’hui, de les sortir de la sphère publique pour les ramener « à leur place », dans la sphère privée. Que ce soit les femmes qui doivent porter de nouveau le voile après la révolution iranienne, en 1979, ou les jeunes filles qui ne peuvent plus aller à l’école après la reprise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan, l’année passée.
« Femmes tues, femmes battues »
Je repense à cette pièce exceptionnelle de Denise Boucher, Les fées ont soif. L’as-tu lue? Au bout du compte, les femmes ne peuvent être que trois choses : une mère, une pute, ou une statue. Lorsqu’elle est présentée en 1978, la pièce fait scandale. Des groupes religieux tentent même de la censurer, sans succès.
Et pourtant, on était surpris quand des femmes ont commencé, avec #moiaussi, à raconter dans l’espace public que des hommes avaient abusé d’elles et de leur pouvoir.
Et pourtant, il y a quelques semaines à peine, Hockey Canada jouait encore la carte des relations publiques plutôt que celle de la transparence dans une affaire de viol collectif.
Et pourtant, un certain juge minimise encore les actes d’agression au point qu’un ingénieur de Trois-Rivières peut en être, littéralement, absous. Et pourtant, des juges américains ont convenu que le droit à l’avortement ne fait pas partie de l’histoire des États-Unis… même si ça fait 50 ans qu’il existe.
On ne devrait plus être surpris. Et pourtant, le choc est toujours entier.
Comme l’écrivait Atwood dans son roman : « C’était trop banal pour être vrai. »
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L’avortement au Canada
L’avortement devient légal au Canada en 1988. Lorsque le docteur Henry Morgentaler est poursuivi pour avoir fourni des services d’avortement, la Cour suprême juge que la loi qui criminalise ces services est inconstitutionnelle. En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982, la Cour conclut que la disposition du Code criminel sur l’avortement viole le droit d’une femme à « la vie, la liberté et la sécurité de sa personne ».
Le juge en chef Brian Dickson écrit : « Forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener le fœtus à terme, à moins qu’elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l’égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne. »
L’avortement est légal à tous les stades de la grossesse. Cependant, l’accès à l’avortement diffère à travers le pays, comme dans certaines régions isolées du Québec.
Source : L’Encyclopédie canadienne
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« Si j’aide les femmes à avoir des enfants au moment de leur vie où elles peuvent donner de l’amour et de l’affection, ils ne deviendront pas des violeurs ou des assassins. Et ils ne construiront pas des camps de concentration », déclare-t-il au Globe and Mail en 2003. Soulignons que Dr Morgentaler était un survivant de l’Holocauste. Il est décédé en 2013.
Source: Wikipédia