Démoder la mode jetable

Par Frédérique David

Elle ne s’est pas contentée de nous habiller, de nous protéger, mais elle nous a défini, fasciné, fait rêver au fil des décennies. On a aimé découvrir ses couleurs tendance, ses coupes, ses tissus, les vedettes qui les mettaient en valeur sur les tapis rouges. Adolescente, j’étais fascinée par la mode des années 1950 et j’aimais dénicher dans les friperies ou dans le grenier de ma grand-mère des chemisiers en coton blanc brodés et des chapeaux en feutre noir, comme dans Le Quai des brumes ou Montparnasse 19, des films que je regardais en boucle. L’adolescence n’est-elle pas cette période où, en quête d’une identité propre, d’un moi personnel, la mode nous aide à nous affirmer? J’ai toujours pensé que les uniformes à l’école brimaient ce besoin de s’exprimer, de se découvrir, de s’affranchir ou d’appartenir à un groupe. Un besoin essentiel à l’adolescence.

Du prêt à porter au prêt à jeter

Malheureusement, la mode a perdu ses lettres d’or. Sa noblesse d’antan a été avalée par un capitalisme vorace. Les saisons ne rythment plus les nouvelles modes. Au nom du profit, tous les abus sont permis et Internet participe activement à cette frénésie, via des sites de vente et des influenceurs qui ne cessent de promouvoir ce « prêt à jeter ». « Rien ne changera tant que les industriels demanderont aux stylistes de sortir des nouveautés chaque semaine », déclare Audrey Millet, dans Le livre noir de la mode. La chercheuse et spécialiste de l’histoire de l’habillement y dénonce aussi le travail des enfants, la discrimination, les abus et le harcèlement, les bas salaires et les dégradations environnementales.

Cette dérive environnementale et sociale de la surconsommation de vêtements a récemment convaincu le gouvernement français d’agir. Le 14 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à réduire « l’impact environnemental de l’industrie textile ». Pour mettre un frein à ce que l’on surnomme « Fast fashion » ou « mode jetable », le projet de loi envisage, entre autres, d’interdire la publicité pour la vente de vêtements à prix cassés. Les chiffres parlent d’eux même : en vingt ans, le prix moyen des vêtements a diminué de 30% tandis que les quantités achetées ont doublé. « On parle de 3,3 milliards de vêtements mis sur le marché chaque année, un milliard de plus qu’il y a dix ans », a déclaré Anne-Cécile Violland, la députée et auteure de la proposition de loi. Les enseignes Shein et Temu ont été pointées du doigt pour leurs pratiques qui consistent à proposer de nombreux modèles de vêtements à prix dérisoires. Selon une étude de l’ONG Les amis de la Terre, le géant chinois Shein propose 470 000 modèles différents, soit 7200 nouveautés par jour, grâce à des algorithmes qui détectent les tendances du jour!

Les conséquences sur l’environnement sont bien réelles : 4 milliards de tonnes d’équivalent Co2, c’est ce que génère chaque année l’industrie textile dans le monde. C’est 10% des émissions de gaz à effet de serre. C’est plus que le transport aérien et maritime réunis!

Faire de bons choix

Qu’en est-il de la mode éthique et responsable au Québec? Comment s’assurer que les vêtements qu’on achète sont fabriqués et distribués en respectant des valeurs environnementales, sociales et économiques? Difficile pour le consommateur moyen de s’y retrouver. Quelques certifications garantissent une rémunération équitable des salariés, un investissement dans des projets environnementaux ou sociaux et une faible utilisation de pesticides. Mais le secteur de la mode éthique au Québec demeure jeune, peu développé et fragilisé par les géants internationaux. Toutefois, ce sont nous, les consommateurs, qui pouvons faire une différence. Les réponses à nos préoccupations sont bien souvent sur l’étiquette. Encore faut-il se sentir préoccupé!

Souhaitons que nos gouvernements emboîtent le pas sur la France, même si l’enjeu est complexe. Il est temps de mettre en place des critères sociaux pour informer le consommateur du respect des droits humains et environnementaux de ce qu’il achète.

La détox vestimentaire

Dans son récent livre « Une année de détox vestimentaire », la journaliste Valérie Simard, ex-collègue qui a œuvré plusieurs années au journal Accès, s’est lancée le défi de ne pas acheter de vêtements neufs pendant une année. Elle nous invite à une prise de conscience collective et nécessaire. Même si, comme moi, vous avez tendance à acheter des vêtements usagés, cette réflexion nous fait réaliser le risque de répéter les mêmes comportements de surconsommation et la finalité commune au neuf et à l’usager : le dépotoir! Valérie Simard nous propose cette réflexion très juste d’Orsola De Castro : « Le vêtement le plus écoresponsable est celui qui se trouve déjà dans votre garde-robe. »

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