Vivre bien, un concept à revoir

Par Frédérique David

Je ne connaissais pas le concept du « Buen Vivir », que l’on peut traduire par « vivre bien », avant que ma fille ne parte en Bolivie, la semaine dernière, pour compléter un travail de sociologie sur le sujet.

Là-bas, comme en Équateur, le « Buen Vivir » est inscrit dans la constitution. Il s’agit d’une conception de la vie qui vise à valoriser les liens entre les humains et la nature, à reconnaître les savoirs traditionnels autochtones et à privilégier des formes d’organisation sociales et politiques plus inclusives et respectueuses de l’environnement. Cette conception s’inspire du mode de vie des peuples autochtones en harmonie avec la nature. Il m’a semblé inspirant et avant-gardiste d’inscrire un tel paradigme dans la constitution d’un pays, sachant que les changements climatiques et les limites du capitalisme nous contraignent à revoir notre mode de vie actuel.

S’inspirer des Autochtones

Les Autochtones du Canada entretiennent les mêmes liens profonds avec la nature, le même respect envers ce qui leur permet de vivre, ce qui nous permet de vivre, depuis que l’homme est homme. Si proches de nous, ils ont tant à nous transmettre. Tant à nous enseigner. Tant à nous inspirer que nous pourrions, nous aussi, inscrire un concept de « vivre bien » dans notre constitution.

Parce qu’il est temps de repenser nos façons de vivre pour assurer notre survie. Parce qu’il est temps de nous recentrer vers un bienêtre collectif plutôt que de poursuivre une croissance économique individualiste qui mènera assurément à notre perte. Plus que jamais, il faut rechercher un équilibre entre l’humain et la nature, plutôt que de poursuivre notre course effrénée vers l’acquisition de biens matériels ou de plaisirs individuels.

Vers une décolonisation

Les voix qui appellent à un changement de paradigme sont de plus en plus nombreuses. Nous devons nous tourner vers ceux qui nous montrent l’exemple depuis des siècles et ne se sont jamais mis en position de domination face à la nature. Ça, c’était le lot des colonisateurs, des développeurs, des capitalistes. Ça, c’est le lot de ceux qui n’ont pas compris que la nature fait partie de nous et que nous lui devons respect.

« Reconnaître et valoriser le savoir autochtone en tant qu’élément essentiel de la prise de décision fait partie de la décolonisation des gouvernements et des institutions », écrivait Olivier Kölmel, porte-parole de Greenpeace Canada, en août dernier. Les Autochtones ont tout à nous apprendre. Tout ce que nous aurions dû comprendre il y a longtemps, n’eut été de notre nombrilisme arrogant.

Le modèle économique dominant est désuet, corrompu, meurtrier. « Nous n’avons pas le luxe ni le choix de ne pas changer », disait Julia Steinberger, chercheuse en économie écologique et co-autrice principale du sixième rapport d’évaluation du GIEC. En décembre 2022, les gouvernements du monde entier ont signé un accord (Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal) qui mentionne l’importance de reconnaître les connaissances et les droits autochtones dans la lutte mondiale pour la biodiversité. Un paradigme alternatif au modèle dominant de développement économique qui prévaut dans nos sociétés modernes s’impose. Le « buen vivir » devrait s’ajouter à notre constitution et offrir ainsi une forme de reconnaissance à l’égard des peuples autochtones. On leur doit bien ça !

Vers un droit pour la nature?

Nombreux sont ceux qui réclament désormais que l’on consacre des droits à la nature. L’idée vient du fait qu’en matière de droit, l’humain est toujours considéré avant la nature. Mais avant de reconnaître une personnalité juridique à la nature, il serait bon de reconnaître les droits de ses protecteurs. Plusieurs activistes écologiques sont aujourd’hui en prison ! Plusieurs organisations citoyennes mènent d’interminables recours judiciaires contre d’importants émetteurs de CO2. Depuis le procès historique mené par des citoyens des Pays-Bas contre Shell, qui a été accusé d’inaction climatique en 2021, de nombreuses multinationales sont dans le viseur des environnementalistes. Il est encore loin le temps où la nature sera considérée avec le même respect que celui que les peuples autochtones lui accordent. Notre « buen vivir » nécessite une transformation profonde des mentalités et des structures sociales. Cette transformation passe par nous. Récemment, un voisin est venu se renseigner sur notre tondeuse à batterie. Dans les jours qui ont suivi, je n’ai cessé de penser à cette nécessité de partager les outils entre voisins et de cesser d’acheter chacun sa tondeuse, son taille-haie et sa scie ! Le changement de paradigme passe par là. Il nécessite de bousculer nos mentalités et nos habitudes de vie ! Il nécessite de « mieux vivre » !

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