Une victoire attendue
Par Simon Cordeau
Dans cette chronique, j’explore l’histoire des Laurentides, telle que rapportée par les journaux de l’époque. Cette semaine, l’armistice, la grippe espagnole et l’édition du 15 novembre 1918 de l’Avenir du Nord.
Avec l’été qui approche et la vaccination désormais ouverte à tous, on sent une certaine fébrilité dans l’air. On entrevoit un possible retour à la normale, ou du moins, un certain déconfinement pour les chaudes journées estivales. En même temps, j’ai peur de déclarer victoire trop tôt, et malgré moi, je pense aux problèmes qui nous attendent dans l’ère post-pandémique : problèmes économiques, politiques, environnementaux…
J’ai donc fouillé dans notre histoire pour trouver une victoire, une vraie, qui nous permettra de célébrer et, peut-être, de mettre en perspective ce qui nous attend. Je suis donc allé lire L’Avenir du Nord du 15 novembre 1918, qui suit l’armistice signée le 11 novembre et qui annonce la fin de la Première Guerre mondiale.
« Le kaiser est vaincu »
« Qui eut prédit, il y a quatre mois, que nous verrions aujourd’hui la puissante Allemagne implorant à genoux la clémence de ses ennemis, et cela après avoir entrevu le succès final? », peut-on lire en première page du journal.
Il faut dire que la défaite allemande, sans être totalement surprenante, a été rapide et brutale. Quelques mois auparavant, « les hordes teutonnes » avaient tenté une dernière offensive en France, avec des gains importants, s’approchant de Paris. Mais cette dernière attaque désespérée s’est essoufflée rapidement. Et alors que ses alliés rendent les armes, l’Allemagne n’a d’autre choix que de capituler.
On sent une stupéfaction mêlée d’allégresse, en lisant le compte-rendu de cette victoire tant attendue, après quatre années de carnage. Et je dois vous avouer ressentir un sentiment semblable, en voyant la vaccination s’accélérer et en repensant qu’il y a quelques mois à peine, on multipliait les mesures sanitaires pour endiguer la flambée des cas.
En 1918, la victoire est célébrée dans les rues. À Saint-Jérôme, on rapporte : « Lundi soir, une manifestation impromptue a égayé notre ville. Près de 200 jeunes gens ont paradé dans nos rues avec flûtes, tambours et lanternes, pour célébrer la fin de la guerre et la victoire des Alliés. » Les festivités se sont poursuivies jusqu’à tard dans la nuit, et des drapeaux des nations alliées ont décoré les maisons.
À Sainte-Agathe, une parade de 25 automobiles a été organisée, avec tout le gratin de la ville participant aux célébrations.
Toutefois, avec la victoire vient le temps des bilans. On rapporte alors 211 358 victimes parmi les soldats canadiens, dont 34 877 tués, 15 457 morts de leurs blessures, 152 779 blessés et 8 245 disparus et prisonniers de guerre. On estime aussi que la guerre aura coûté 1,1 milliard de dollars au Canada.
On vous encourage d’ailleurs, à de multiples reprises dans le journal, à prendre des « Emprunts de la Victoire ». Les citoyens du comté de Terrebonne (qui compte alors Saint- Jérôme) participent déjà à hauteur de 115 000 $! À quand des « Obligations de la Pandémie »?
Grippe espagnole
Même si la guerre est finie, l’épidémie de grippe espagnole, elle, continue de se répandre. À Saint-Jérôme, les nouvelles sont bonnes. « Nous pouvons dire que la grippe est disparue de notre ville, mais plusieurs en sont encore atteints dans la paroisse. Continuons d’être prudents et de prendre toutes les précautions voulues. »
À Sainte-Anne-des-Plaines, toutefois, la pandémie fait des ravages. « La grippe est loin d’être disparue d’ici. La semaine dernière il y avait plus de deux cents cas. Il y a eu six décès jusqu’à date, cependant nous constatons que la situation s’améliore. » On mentionne aussi que les chemins sont tellement mauvais que la livraison du foin y est paralysée! Comme quoi l’isolement des villages ne les protège pas de la maladie, ni hier, ni aujourd’hui.
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La Première Guerre mondiale aurait fait entre 15 et 22 millions de morts dans le monde.
La grippe espagnole, quant à elle, aurait fait entre 20 et 50 millions de morts.
En date du 10 mai 2021, 3,3 millions de morts sont attribuées à la COVID-19.
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Remèdes miracles
Aux côtés de ces nouvelles, dans les publicités, on vous offre une pléthore de remèdes contre vos maux! Il y a des tablettes purgatives contre la constipation ou les troubles digestifs. Il y a les « Gin Pills », pour réduire la douleur et aider vos rognons (reins) à purifier votre sang. Il y a des capsules crésobènes « à base de créosote, d’eucalyptol et autres balsamiques ». On vous met même en garde contre les imitations! Il y a aussi les Pilules Moro, qui « rétablissent les forces, guérissent les douleurs et rendent la confiance ». Il y a même une pub en anglais qui… vante les propriétés addictives de son médicament? Parce que la « force de l’habitude » est signe de son efficacité!
Ma préférée est probablement la pub du vin St-Michel, pour revigorer votre sang. « Le VIN ST-MICHEL se prend à la dose d’un verre à vin avant les repas et chaque fois que le besoin s’en fait sentir. »
Bref, avec tous ces remèdes miracles, aucune raison de s’inquiéter de la pandémie! Qui aurait cru qu’il fallait simplement… un petit verre de vin? À votre santé!
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Repères historiques
1871 : Après avoir battu la France, la Prusse forme l’Empire allemand. Ce sera la dernière guerre européenne d’importance avant la Première Guerre mondiale.
1884 : La mitrailleuse Maxim est inventée. Elle sera instrumentale dans la conquête de l’Afrique par les empires européens.
1885 : Louis Riel est pendu après les rébellions des Métis au Manitoba.
1902 : Le premier film de science-fiction, Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès, est présenté à Paris.
1903 : Les frères Wright réalisent le premier vol motorisé de l’Histoire. La prochaine guerre sera donc battue sur terre, sur l’eau… et dans le ciel.
1914 : En Serbie, un terroriste assassine l’héritier du trône austro-hongrois. En raison des tensions géopolitiques et du jeu des alliances, ce fait divers entraîne le monde entier dans une guerre sanglante.
1917 : Les femmes obtiennent le droit de vote au Canada. Pour le Québec, il faudra attendre 1940.
1918 : La guerre est terminée, mais pas la violence. L’effondrement de 4 empires entraîne des guerres régionales entre groupes nationalistes pour redessiner la carte de l’Europe.