Rester au camp de base
Par Frédérique David
Il est beaucoup question de maladie mentale dans les discussions ces jours-ci, même si on ne sait rien encore de l’état de santé de cet homme qui a commis ce geste abominable et irréparable. La première déclaration publique du premier ministre François Legault a été de dire « acceptez l’aide psychologique! ». Il aurait été déplacé de dire « allez chercher de l’aide psychologique », car il n’y en a pas! Il n’y en a plus!
Grimper nu-pieds
On va se le dire, quiconque a besoin d’aide doit gravir un mont Everest d’appels téléphoniques avant de décrocher un rendez-vous quelque part, avec un thérapeute qui ne répondra peut-être pas à ses besoins, avec qui il ne réussira peut-être pas à établir la relation de confiance nécessaire à une thérapie efficace, mais qui aura ouvert une porte après des dizaines de fermées. Je ne comprends même pas qu’on puisse demander à une personne qui va mal de trouver la force de faire toutes ces démarches pendant des heures, sans se décourager. C’est comme faire de l’alpinisme de haut niveau sans l’équipement nécessaire pour y parvenir. C’est comme se lancer dans l’ascension de hauts sommets nus pieds! Il devrait y avoir un ascenseur direct avec une petite musique apaisante et des douillettes pour se réchauffer. Des ascenseurs assez grands pour faire entrer tout le monde sans abandonner personne. Ils sont des milliers avec la main sur le bouton à attendre un ascenseur en panne. Faut le réparer et ça presse!
Chaos sur le toit du monde
En 2019, une photo d’une file de grimpeurs au sommet du mont Everest a fait le tour du monde tant elle paraissait surréaliste. L’année suivante, au Canada, le nombre de réclamations d’assurance pour des problèmes liés à la santé mentale a subi une augmentation de 75%. Partout, les statistiques explosent et dépassent les moyennes des décennies précédentes. Nul n’avait prévu que l’Everest deviendrait un jour une autoroute pour alpinistes, pas plus qu’on n’aurait pu prévoir une hausse aussi vertigineuse de la détresse psychologique. La pandémie a particulièrement affecté les jeunes. Une enquête menée par l’Université de Sherbrooke auprès de 17 708 jeunes de 12 à 25 ans de l’Estrie, des Laurentides, de la Mauricie-Centre-du-Québec et de la Montérégie a récemment révélé que 37 % des élèves du secondaire et 52 % des étudiants au cégep ou à l’université rapportent des symptômes modérés à sévères d’anxiété ou de dépression. Les données sont particulièrement préoccupantes chez les filles.
Écouter les Sherpas
Les Sherpas de la petite enfance, qu’elles soient enseignantes, éducatrices ou soignantes sont tout aussi préoccupées par les signes de détresse des tout petits. Récemment, une enseignante témoignait de la violence de certains de ses élèves de 1re année sur les réseaux sociaux et des dizaines d’autres répondaient avec des témoignages semblables. Une autre étude de l’Université de Sherbrooke révélait, ce mois-ci, que la consommation de contenus sur écran par des enfants d’âge préscolaire nuit à la régulation de leurs émotions à court et à long terme. Or, ces enfants passaient plusieurs heures par jour devant un écran pendant la pandémie. Les dommages sont bien réels. Les enseignantes et éducatrices sont nombreuses à le constater!
Rester au camp de base
L’Everest n’aurait jamais dû être le lieu d’un bouchon d’alpinistes parce qu’il ne s’agit pas d’une montagne faite pour monsieur et madame Toulemonde! Parfois, il faut savoir rester au camp de base et ne pas écouter les influenceurs qui nous mettent au défi. En 2023, le plus grand défi c’est de ne pas subir la pression des images de vie trop parfaites de nos amis virtuels qui affichent leur mariage de rêve, leurs vacances paradisiaques en famille et leurs décors de maison Pinterest. En 2023, le plus gros défi c’est de garder une distance de l’hypermédiatisation des tragédies qui ne font qu’alimenter notre anxiété déjà mise à l’épreuve par un contexte social, économique et écologique troublé. En 2023, notre plus grand défi n’est pas de grimper l’Everest, mais d’apprécier le camp de base. Il en va de notre santé mentale.