Qui êtes-vous?
Chronique d’un X
par Jean-Claude Tremblay, collaboration spéciale
« Ouvre grand la bouche, l’avion approche, fait haaaaaa! Qu’est-ce que tu essaies de me dire avec ces sons et ces gigotements? Ta couche est mouillée? Tu veux que je te promène, ou que je te raconte une belle histoire? » C’est avec le cœur serré d’un fils ébahi, et les yeux réverbérants d’un père bouleversé que j’observe mon garçon de 9 ans tendre courageusement une cuillérée de purée à sa mamie. Je l’entends la questionner, tendrement, comme elle-même le faisait avec lui il y a à peine quelques années.
C’est le monde à l’envers, ou peut-être pas, c’est la vie, tout simplement. Je suis abasourdi par la similarité entre les deux extrêmes de l’aventure humaine, où couches et bavettes se retrouvent en lieu commun. C’est une scène qui transcende les mots, qu’est celle de voir ce magnifique chérubin pousser le fauteuil roulant de son ascendante. Un peu comme elle qui, jadis, maniait avec entrain la poussette de son petit-fils, dans les rues vallonneuses de notre contrée.
Je les regarde quitter, le cortex engourdi et le cœur en charpie. Je m’assois, le visu contemplatif, balayant chaque recoin de l’aire commune, où une douzaine d’âmes sont stationnées, en attendant de recevoir leur contravention finale. On est en juillet, il fait 35 degrés à l’ombre et on peut entendre chanter gaiement Vive le vent d’hiver. Non loin de là, une dame crie des obscénités à la figure de ses voisins, en leur lançant violemment des objets. Une autre, que je n’ai jamais vue, me prend soudainement dans ses bras et me dit affectueusement : « Je t’aime ».
Je suis bouleversé, c’est alors que mon esprit se remet à virevolter. Je reprends mon rôle d’observateur, campé dans un fauteuil cuirette façon budget, positionné contre le mur d’une unité prothétique fermée, ou seuls les anges ont le courage d’y venir travailler. Je rêvasse en me demandant : « Qui étaient ces gens, avant de voir leurs facultés de façon permanente altérées?! ». Puis, je pousse ma réflexion en revisitant l’opposé du spectre, car j’ai souvenir d’une garderie de Ste-Adolphe où je me posais curieusement des questions similaires en observant les enfants : « Mais qui sont-ils et que vont-ils devenir?! » Déjà leur personnalité se forgeait, déjà ils façonnaient leur karma, celui qui allait teinter les êtres particuliers, ceux-là mêmes que j’avais devant les yeux, dans un CHSLD près de chez vous.
Mon fils revient vers moi et me ramène à la réalité en me demandant qu’est-ce que dit sa grand-mère, pour qui la communication non verbale est devenue le principal mode de correspondance. Il me demande si elle les reconnaît, sa petite sœur et lui. Il faut dire que, pour sa mamie, les autoroutes neurologiques se font barrer l’existence et se transforment en culs-de-sac dans lesquels les neurones se cachent pour mourir. « Je ne sais pas mon chéri », de lui répondre. Quelle réponse inadéquate, d’une mocheté culpabilisante, mais force est de constater que le puits de l’homme de lettres était sec comme le Sahara, ce fameux jour-là.
Mes émotions souffrent et demandent à mon intellect de faire son boulot et d’enquêter, en partant à la recherche d’une vérité. Je veux absolument comprendre, comprendre qui ces gens étaient, et faire des liens avec qui ils sont devenus aujourd’hui. Après des années de galère personnelle, de multiples discussions avec les familles et de stimulants échanges avec divers intervenants, je présente une thèse : ils sont devenus la substance réduite de ce qu’ils ont expérimenté, à travers les événements qui leur sont arrivés, dans l’adversité et surtout à travers les choix qu’ils ont faits.
Je retiens qu’au dernier chapitre, c’est la moyenne au bâton qui prévaudra.
Nous serons tous un jour ou l’autre appelés à être à la fois le résilient et l’aidant. Alors que certains le feront à temps plein pour un proche dans une période donnée, d’autres en feront leur mission de vie. Vous, chers lecteurs, je ne sais pas si vous savez qui vous êtes, mais sachez que, chaque jour, vous avez le pouvoir d’influencer et d’aider autrui, peu importe votre âge, votre statut ou votre condition.
Mon fils, lui, aidant naturel d’un jour, me rappelle tout le courage que ça prend pour faire ça au quotidien. Je retiens aussi que ces êtres magnifiques, aidants et résilients sont là pour nous apprendre des leçons. Ils me rappellent sans cesse l’importance de se ramener au moment présent, et que chaque pensée que l’on embrasse aujourd’hui deviendra la maîtresse de notre demain.
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