Merci de votre courage

Par Jean-claude-tremblay

Chronique d’un X

par Jean-Claude Tremblay

Mari, père et fils. X de génération, homme d’affaires de profession. Rebelle sensible et constructif, ardent dénonciateur d’injustices. Protecteur des miens, éternel Laurentien.

Je devais avoir 14 ans, je passais mes fins de semaine dans la cuisine exiguë et mal foutue de ce resto branché de Saint-Sauveur. Vous savez, un de ceux, nombreux à l’époque, où la gaffe régnait sur la place comme Pablo Escobar en Colombie. Le pouvoir et l’argent étaient partout, c’était la vie des gens riches et célèbres, et de ceux en devenir. C’était parmi mes premiers emplois, je trimais dur à laver de la vaisselle sans machine, et à éplucher des légumes à l’aide de couteaux mal aiguisés.

Je me souviens de l’avoir vu, lui, le proprio, monsieur Five Rose, langue fourchue et mains baladeuses, à chaque fois qu’il en avait l’occasion. Il visait essentiellement les serveuses, surtout les nouvelles. Lorsqu’il était un peu « shooter », expression tristement célèbre, je le voyais s’approcher d’elles et se transformer tantôt en tube de colle, tantôt en requin. J’entendais les filles dire « arrête de niaiser », ou encore « lâche-moi », mais je ne comprenais pas pourquoi elles souriaient et ne lui collaient pas leur point au visage. Il faut dire qu’à cet âge-là, je ne connaissais pas encore la couleur jaune, celle qui teinte les rires, et celle que porte la lâcheté. Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris : il s’agissait d’un rire nerveux, provenant d’êtres vulnérables, terrorisés devant de tels gestes d’intimidation.

De mes débuts à la plonge de restaurants jusqu’au milieu des affaires que je côtoie depuis des années, du boulevard Labelle à Bay Street, l’histoire se répète. Il y a peutêtre plus de cravates et de tailleurs, mais c’est fondamentalement le même cercle vicieux, lequel m’a toujours bouleversé. La différence maintenant, c’est que la personne qui oserait avoir ce type de comportement en ma présence subirait les foudres de ma vigilance. Peut-être parce que je sais ce que c’est que d’être intimidé, peut-être parce que j’ai toujours eu ce besoin viscéral de protéger.

Cette semaine, le triste sujet est encore dans les médias, mais la réalité est que les mononcles briseurs de vies, ceux qui se cachent derrière un humour grivois, sont partout et ont plusieurs identités.

Au travail c’est un patron, une collègue ou un employé.

Dans notre communauté c’est le bénévole ou l’éducateur en autorité.

Sur le web c’est l’étranger ou l’avatar qui a un million d’abonnés.

À la maison c’est un parent, une amie de la famille ou un invité.

Aujourd’hui, je mets mon humble privilège de tribun de la plèbe laurentienne au service de ceux et celles qui ont osé parler, et des autres qui songent un jour à le faire. Courage, sachez que la seule place où la culpabilité devrait loger est dans un moment temporel.

Il y a un monde de différence entre innocence et responsabilité. Si vous nagez dans l’incertitude, vous savez où me trouver.

Nous sommes tous, conjointement et solidairement responsables de prendre position, à notre manière et selon notre capacité, pour dénoncer les injustices, celles de l’Homme et de son éternelle hommerie. Je consacre beaucoup d’énergie à enseigner aux jeunes et aux parents l’importance de l’estime de soi, l’antidote par excellence pour contrer l’intimidation et ses nombreux dérivés.

Comme le dit mon ami Lao Tseu, la maîtrise des autres est une force, mais la maîtrise de soi est un véritable pouvoir.

Dans un monde où la moralité ne réside souvent que dans le Larousse, ou l’intimité du sexe et la dangerosité de la drogue sont banalisés, la récente tempête me donne espoir. Je me dis qu’après tout, peut-être que la douleur du non-dit, combinée au respect de soi, auront eu gain de cause sur l’élastique sans fin de la conscience individuelle.

Vivement le domino collectif qui, pour une fois, n’est pas le reflet de futiles intérêts de bergers malveillants, voués à nous abrutir l’occupation. Vivement aussi le courage de ceux et celles qui sont fondamentalement à notre image : des survivants qui ont toujours milité pour la justice, la paix, l’égalité, et la liberté.

Ce soir, je vais prendre femme et enfants dans mes bras et leur dire combien je les aime.

Je tâcherai de les rassurer en affirmant que, malgré tout ça, la vaste majorité des gens méritent notre confiance.

Je vais les inviter à toujours suivre leur instinct, car lui seul peut réellement les protéger.

Je vais terminer en leur conseillant d’écouter leur coeur, car au fond, nous savons tous que c’est l’ultime boussole, la seule qui soit digne de nous guider.

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