Le retour

Par Jean-claude-tremblay

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Ça y est, l’annonce vient d’être faite. Alice pleure de joie, elle qui attendait cette journée avec impatience depuis le mois de mars. Édouard, lui, réagit de façon plutôt indifférente face à la nouvelle, à l’opposé de Josée, qui l’accueille de façon mitigée, car ses sentiments oscillent entre l’excitation et la peur. Pour la suite des choses, tous, et certains sans même le savoir, misent sur la bienveillance des professionnelles de l’établissement qui rouvrira bientôt ses portes.

Ce n’est pas d’élèves et de parents dont je parle ici. Dans cette crise sanitaire, il y a deux solitudes majeures. Non, je ne fais pas référence au clivage langagier et ultimement culturel qui persiste à l’intérieur d’un territoire X, mais bien de ces deux groupes qui ont été parmi les plus malmenés dans toute cette histoire ; situés aux extrémités du balancier générationnel, j’ai nommé les enfants et les aînés.

Alice est une aidante naturelle, elle est à bout de souffle et dans un état quasi-dépressif. Édouard est un homme atteint d’Alzheimer qui montre des signes évidents d’anxiété ; il multiplie les crises depuis son confinement. Josée est une employée dévouée qui en avait assez d’aider de manière (uniquement) virtuelle, privée des nuances et des nombreuses subtilités que procure un chaleureux face à face, dont elle s’est trop longtemps ennuyée. Bien que les noms aient été inventés, l’histoire, elle, est authentiquement troublante et réelle – c’est celle de milliers de gens qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés seuls et isolés.

Juste avant l’annonce, il y a eu un travail colossal qui s’est effectué dans l’ombre. Je parle des 1001 considérations sur lesquelles il faut réfléchir avant même de penser rouvrir les portes, dans un contexte ou même la santé publique n’ose pas user de totale clarté. Pour l’équipe de travail de cet OSBL autonome, ça implique une imposante démarche protocolaire, sanitaire et opérationnelle, certes, mais aussi et surtout, une réflexion morale et humanitaire.

Guylaine était extrêmement préoccupée, et pour cause. C’est elle et son équipe qui ont reçu les messages de détresse des familles qui, isolées depuis le début de la crise, ne savaient tout simplement plus quoi faire avec leurs êtres chers, dont ils sont les proches aidants. Il faut dire que pour eux, ce centre de jour qui accueille les personnes atteintes de troubles cognitifs de type Alzheimer, et offre du répit à leurs aidants est un service essentiel, pas un luxe.

Cette directrice générale, qui a remué ciel et terre pour soutenir son équipe et garder le bateau organisationnel à flot, ne pouvait cacher son soulagement au sortir de la décision qui somme toute, a probablement été l’une des plus difficiles de sa vie : « ouvrir ou ne pas ouvrir. » Comme membre du conseil de cette « maison du bonheur » habitée par des anges, je me suis déjà réveillé en plein milieu de la nuit avec la pensée que des vies dont nous avions la responsabilité étaient en jeu. Tout au long de cette crise, mes craintes qui tournaient alentour des aspects contagieux ont migré vers des soucis face à l’isolement et ses conséquences perverses, parfois pires que la maladie.

J’ai maintenant un sens renouvelé pour l’expression « la balance des inconvénients ». Un grand sentiment d’humilité m’envahi. Pour le retour à l’école comme dans le cas présenté ici, la perfection n’existe pas. Il n’y a que des humains qui font de leur mieux, qui prennent les meilleures décisions possibles, avec l’information disponible.  En ce qui nous concerne, il importe de se laisser guider d’abord par le cœur, en mettant la tête au service de ce dernier, et non le contraire. L’intérêt suprême de la dignité et du mieux-être de l’humain, devraient toujours être la priorité.   

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