Il y a village et village
Par Mimi Legault
Il y a quelques années, durant mes vacances d’été, j’ai habité un véritable village de 687 âmes. Lorsque je disais aux gens de la place que je demeurais dans un autre village, ils riaient sous cape lorsque je leur nommais St-Sauveur. Ils avaient raison, St-Sauveur était un village.
Maintenant, c’est devenu un site touristique, une sorte de grosse machine à sous, sur laquelle on construit des centres d’achats, des restos américains, des condos, des magasins. Un morceau de terre libre? Vite, on sort la pépine! Ça pousse comme des champignons. Et, en prime, davantage de bruit, de pollution. Comme le disait le légendaire curé Jean Adam dans le temps : nous sommes trois milles habitants et 100 000 visiteurs : merci mon Dieu, ils ne sont pas tous pratiquants!
Il y a village et village. Appelons tout de même les choses par leur nom! Comme je vous disais, j’habitais pour deux mois un village, un vrai. Qui sentait bon le foin fraîchement coupé et roulé qui se mesurait par monts et par vaux jusqu’à ce que l’horizon le rejoigne. C’était grand et vaste. Ça se laissait respirer à grands coups de bolée d’air frais. Et les gens? Ça allait avec le reste. Pas pressés, pas stressés. Comme si les journées étaient plus longues là-bas.
Avec un humour particulier. Sur le mur de l’unique garage de la place, une annonce : perdu, chatte grise, cul rose et pattes blanches. Ti-comique… Un jour, à la boulangerie artisanale, j’étais enfin tombée sur le patron (façon de parler). Je dis enfin parce que durant la semaine, il travaillait en ville, mais dès qu’il en avait la chance, il revenait se reposer comme il disait, en se levant à 4h30 chaque matin pour confectionner, grâce à son four centenaire, des dizaines de petits pains, des beignes qui me rappelaient ceux de ma grand-maman Marie. Lorsque je lui en demandais une douzaine, il m’en remettait 13 pour la luck, qu’il disait. Verriez-vous ça ailleurs?
Il y avait aussi le dépanneur du coin. Genre marchand général. À l’intérieur de son commerce, il possédait un permis de la SAQ. Un jour, je lui avais demandé s’il avait un St-Estève. Il s’était mis à chercher sur les étagères, ne l’avait pas trouvé. Alors, il m’avait lancé candidement : si c’était rien que de moé, je ferais une seule sorte de vin, les gens compliquent les choses pour rien, m’avait-il dit le plus sérieusement du monde. Je désirais aussi qu’il me sorte un billet de Banco. Ça lui avait pris un temps fou : pas capable de prendre un 6/49 comme tout l’monde?
À me lire, vous allez croire qu’un jour je vais déménager dans ce coin de pays. Erreur! J’aime trop St-Sauveur parce qu’il est aussi formidablement vivant, son coeur palpite bien fort dans ses montagnes. Je trouve seulement qu’il vieillit mal et qu’il se laisse emporter par une vague qui risque de nous engloutir comme un tsunami de tourisme et de modernités. Le fait de pouvoir me ressourcer ailleurs, dans un ailleurs paisible me comble de joie.
Il m’arrivait de sauter sur mon VTT et d’aller à travers des champs loin des maisons pour retrouver des dunes de sable blond. Je me souviens d’un jour précis jean’s et t-shirt blanc m’être promenée à grimper sur ces côtes, c’était comme une tempête de neige. J’étais revenue au chalet, mon chandail devenu brun…J’avais bu une orangeade bien fraîche pieds nus appuyés sur la rampe de la galerie en flattant Rockie, le chien du voisin. C’est tout, me direz-vous?
C’est tout. Et puis juste au fond de ma bouteille, à la dernière gorgée, savez ce que j’avais trouvé? Un morceau de soleil que j’avais croqué… Si ce n’est pas ça le bonheur, je veux bien mourir. Avis au gars d’en haut : c’est une blague, le plus tard sera le mieux. Une chose demeure certaine : je me promets bien de retourner dans cet arrière-pays au silence assourdissant et cette fois, le plus tôt sera le mieux!