Divisés plus que jamais

Par Frédérique David

Le 11 mars 2020, l’OMS qualifiait de pandémie l’épidémie de COVID-19. Deux ans plus tard, que reste-t-il de nous? Je serais tentée de dire que le « nous », qui était déjà bien fragile, s’est fractionné en plein de « toi », « moi », « je ». La belle cohésion sociale de mars 2020 qui nous faisait croire que cette pandémie venait de nous donner la claque nécessaire pour qu’on s’entraide, pour qu’on se solidarise et pour qu’on se mobilise ensemble pour se bâtir un avenir meilleur, s’est malheureusement transformée en une terrible division.

Même au sein des familles, la pandémie a semé des fractures. Ça a commencé avec les chicanes autour du souper de Noël, parce que Mononc’ ne voulait pas venir si tout le monde n’était pas vacciné, grand-maman se demandait si elle devait imposer un test rapide à chacun, le beau-frère tenait mordicus à ce qu’on respecte le nombre d’invités prescrit par la messe quotidienne Legault-Arruda et la cousine suggérait que tout le monde porte le masque si bien que Matante avait suggéré qu’on arrête tout ça et qu’on fasse un souper de famille en Zoom et tant pis pour Michel qui reste dans le rang 4 et qui attend toujours la haute vitesse! Pis y’avait Félix qui s’en foutait de tout ça et qui voulait juste triper avec ses cousins parce qu’il était tanné de ne plus pouvoir faire le party avec ses chums sans risquer de se faire dénoncer par ses voisins et de se retrouver avec une amende à payer aussi salée que s’il avait commis un vol par effraction.

Au fil des mois, on s’est trouvé des camps : celui des anti-masques, celui des provaccins, celui des camionneurs, celui des « fuck Trudeau » ou des « on dira ce qu’on voudra, mais j’en voudrais pas de la job de Legault! ». Écoeurés par les chicanes de leurs parents, les jeunes se sont créé des camps autrement plus distrayants. La semaine dernière, sur TikTok, la question qui consiste à déterminer s’il y a plus de roues ou plus de portes dans le monde est devenue virale. Et pendant que des adultes s’insultaient sur Facebook, les jeunes grossissaient les rangs du « Team Wheels » et du « Team Doors », pour mieux prendre soin de leur santé mentale. Quand je les regarde aller, je me dis qu’ils sont mieux outillés que nous pour contrer la morosité ambiante, pour entretenir une cohésion sociale et pour trouver du plaisir dans ce monde à la dérive!

Au fil des mois, les paquets de farine sont revenus sur les tablettes parce qu’on a moins tripé à faire notre pain et à se faire imposer des mesures de guerre, surtout pas un couvre-feu au moment où le moral collectif était proche du burn-out national! À partir de là, les divisions ont créé des fractures et des dommages à long terme. Parlez-en aux avocats ou aux psychologues. D’ailleurs, un récent sondage réalisé auprès de 2 500 Canadiens par l’Institut Angus Reid le confirme. Plus de 80 % des répondants ont indiqué que la pandémie a éloigné les gens, les deux tiers des 18-34 ans disent que leur vie a été grandement perturbée, près de 40 % des gens disent que leurs relations avec leurs amis ou leur famille se sont détériorées et plus de la moitié estiment que leur santé physique et mentale s’est détériorée.

Au fil des mois, on est devenus des experts dans l’art de pointer les autres du doigt et de trouver des coupables au lieu de s’entraider. La belle compassion du début s’est muée en irritation. Les voisins avec qui on allait marcher sont devenus des boucs émissaires. Près de 80 % des répondants au sondage Angus Reid indiquent que la pandémie a fait ressortir le pire des gens.

Le pire dans tout ça, c’est que nos divisions profitent au populisme de droite, voire d’extrême droite, qui alimente la haine et le racisme et menace l’environnement et les démocraties. On en voit déjà les conséquences dans plusieurs pays. « […] les possibles tombaient comme des soldats à la guerre, mes rêves aussi. Charnier. Massacre. Je marchais dans un cimetière de songes. » (Éric-Emmanuel Schmitt dans Ma vie avec Mozart).

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