Action de Grâce
Par Mimi Legault
C’était la fin de l’été. Un dimanche tout en sueur avec, dans ses poches, des nuages noirs gonflés à bloc prêts à éclater gouttes que gouttes. C’est d’ailleurs ce qui s’était produit au début de la matinée. Ça s’était calmé par la suite. Finalement la journée s’était quand même déroulée comme un long film « plate » : grise, humide, collante comme de la visite. À l’heure de l’apéro, nous avions poussé l’audace jusqu’à lancer une ou deux bûches dans le foyer ne fut-ce que pour tirer les rideaux devant cette météo maussade qui, comme l’enfant qui rechigne, ne savait plus ce qu’elle voulait. Tout ce que nous entendîmes par la suite furent les gémissements de Dame Nature enragée qui, aidée par le vent déversa ses pleurs et ses plaintes contre les fenêtres du salon.
J’ai soupiré d’aise devant les flammes. Je me sentais bien. Il y a comme ça dans la vie des moments de pur délice qui se croquent comme des bonbons en sucre d’orge. Nous avons levé nos verres juste au moment où un film débutait. J’ouvre ici une parenthèse, vous allez comprendre pourquoi : cet été, à une vente de garage, un garçonnet d’environ 5 ans pointe son index sur un ancien film cassette. Tu le veux, demande la dame? Oui mais seulement s’il y a de la bataille et de la violence. V’là ti-pas les deux parents morts de rire devant le bambin. Je ferme la parenthèse avant de lâcher de gros mots contre ces génies-teurs sans génie.
Donc le film. La vedette était Denzel Washington dans le rôle d’un soldat. Son commandant l’avait invité à venir partager la dinde de l’Action de Grâce. Là aussi, on pouvait deviner qu’à l’extérieur l’automne avait débarqué l’été de son hamac. Et là aussi, le feu crépitait dans l’âtre, le bois pétait sans ménagement. Je sentais le moment magique. C’est précisément ce moment qui m’a émue : le patron s’est recueilli, tous les invités autour de la table, enfants compris ont baissé les yeux. L’homme a récité le bénédicité, cette prière qui se disait jadis avant chaque repas.
Croyez-le ou non, c’est venu me chercher très loin. Pas la prière mais ce qu’elle représentait. Marquer une pause. Se recueillir quelques instants ne serait-ce que pour apprécier cette complicité de se retrouver en famille ou entre amis. Pour moi, rien de plus sacré que des proches conviés autour de la table pour vivre cet instant présent et unique pendant qu’à l’extérieur par surcroît l’automne fait son lit dans ses draps de flanalette. Pas très poétique mais ce n’est pas mon but.
Je ne suis pas une férue de la religion, reste que l’Action de Grâce demeure une excellente occasion pour remercier la vie de ce que nous sommes et avons. Et je ne parle pas du point de vue matériel. Il n’y a pas de bonheur virtuel, Dieu merci. Mais il y a plein de petits bonheurs qui nous passent sous le nez. Justement, c’est le cas de le dire, on ne les sent plus. On a perdu l’odorat du bonheur.
Durant cette fin de semaine spéciale, si vous recevez des convives à votre table, invitez-les à fermer leur cell et à ouvrir leur cœur. Je sais, vous risquez de passer pour une matante ou un huluberlu. Le recueillement est un acte d’humilité. Je vous propose même une prière toute faite que ma mère récitait avec le plus grand sérieux : Merci Seigneur pour ce repas et faites que l’autre ne tarde pas. Ce ne sont pas tant les mots qui comptent comme le fait de marquer une pause dans une minute de silence.
Merci, merci la vie.