Juste pour eux
Par Mimi Legault
C’est ma dernière chronique avant Noël. Nous allons nous retrouver quelque part en janvier. Alors j’ai songé sur le sujet de ma chronique. Mais dans mon cœur, c’était tout désigné, aucun doute. Je voulais écrire juste pour eux : pour nos vieux. Je sais, je devrais écrire les personnes âgées ou nos aînés. Quand j’écris vieux, c’est avec immensément de respect et d’amour. Je baigne dedans jusqu’au cou depuis quelques années puisque je prends soin (heureusement je ne suis pas seule dans cette aventure) de deux personnes toutes les deux atteintes de l’Alzheimer. L’une vient d’avoir 89 ans et la deuxième 92. Chacune à sa façon adorable, chétive et fluette. Si je ne me retenais pas, je ferais comme un colis que l’on envoie par la poste, je collerais sur leur front une étiquette : ATTENTION, FRAGILE. À manipuler avec soin.
Elles habitent dans une résidence réservée pour cette maladie (pas un CHSLD). Deux résidences différentes. Pourtant, quelque chose me frappe toujours : les préposées. Je peux arriver à toute heure du jour, tout est propre et bien tenu. Elles sont entre bonnes mains. Il y a ce oui mais… qui me tourne autour du cœur comme un manège. Les résidents (il y a aussi des semi-autonomes qui ont toute leur tête, comme on dit) ne reçoivent pas suffisamment de visiteurs. Lorsque je discute avec eux et que je leur demande s’ils voient leurs siens, ils ont tous cette même maudite réponse comme pour les disculper : vous savez, ils n’ont pas le temps de venir, ils sont trop occupés, ils ont leur travail, leur famille.
Leur famille??? Vous permettez que je me verse un peu de camomille pour me calmer le pompon? Merci. La vérité est ailleurs. Kossa donne? demandent les proches : de toute façon, ils oublient notre visite cinq minutes après que l’on soit parti. Je lis dans vos pensées… Certains vieux reçoivent plus souvent la visite de leur médecin que celle de leurs propres enfants. Vieillir, c’est tomber en petits morceaux. C’est dépasser la date d’expiration comme un yogourt. C’est chiant vieillir, je regarde ces gens semi-autonomes qui se sentent inutiles. Depuis qu’ils sont à leur retraite, ils font de la recherche : ils cherchent leurs clés, leurs lunettes, leurs dents… Avez-vous remarqué qu’on a plus de respect pour un meuble antique, les autos d’antan, les bons vieux whiskys? Mais les vieux tout courts, ça non. Quelqu’un m’a déjà dit que lorsqu’il allait voir sa mère qu’il avait placée, ça le gênait, il ne savait pas quoi lui dire. Puis il avait ajouté : mais au moins, elle ne manque de rien. C’est vous qui le dites, monsieur…vous saurez que les gens âgés ont besoin de bien peu de choses, mais de ce peu-là, ils en ont terriblement besoin.
Il m’arrive de me trouver dans le vestibule de la résidence et de voir arriver l’un de leurs proches avec un sac dans les mains pour le tendre à la réceptionniste : c’est pour le 2018 au nom de Lacombe (fictif bien entendu). On m’a demandé de lui apporter d’autres petites culottes et un pyjama neuf. Tout est là, dit le proche… Et ça repart comme c’est venu en respirant l’air pur à l’extérieur parce qu’en dedans, une odeur d’urine, de paparmane et d’un léger poids sur la conscience les étouffent un peu.
Deuxième gorgée de camomille
Moi aussi j’étouffe quand je vais voir ma belle Éva. Elle ne me reconnaît plus, parle en grognant, a perdu tous ses repères. Et puis, je sue dans sa chambre avec le thermostat élevé. Je lui parle comme si elle me comprenait, ses grands yeux de poisson frit me regardent : t’es qui, toi? Sa mémoire rétrécit semaine après semaine comme de la buée dans une fenêtre. Et soudain un éclair, là juste au fond de l’iris, un mouvement de ses lèvres. J’ai entendu Mimi. Mais non, elle ne l’a pas dit, mais je fais comme si…
Alors, la voilà qui prend ma main et qui me sourit. Une toute petite crampe dans son cerveau a suffi pour me réjouir d’être venue la voir. Vieillir, c’est exactement comme le samedi après-midi à la ferme quand le travail est terminé et qu’on a qu’à laisser venir le dimanche…
Heureuses fêtes à tous!
1 commentaire
Article touchant, merci. Et si on mettait des garderies dans les maison des aînés ?