Foutue violence
Par Mimi Legault
Le dernier crime fatal des deux femmes de Sainte-Sophie décédées à coups de hache m’a fait sortir de mes gonds. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose sapristi pour que cette foutue violence cesse. J’ignore l’auteur qui a dit que : « la criminalité augmentera en fonction de la volonté du peuple de s’en accommoder. » Justement, il ne faut pas que ce genre de nouvelle tombe dans l’oubli.
L’Humain est parfois si bête qu’une violence répétée finit par lui paraître un droit. Le premier ministre Legault l’a souligné dans l’une de ses interventions hebdomadaires : parlez à vos fils, à vos chums. Communiquez. Certains hommes demeurent muets comme des trappistes. Il faudra augmenter les maisons de sécurité pour femmes battues, offrir gratuitement les services de psychologues aux hommes violents. Et surtout, ouvrir les yeux autour de nous. Un jour au chalet, j’étais allée au dépanneur du village. J’avais le cœur joyeux et léger tour lou-lou, tour lou-lou. Je faisais des blagues avec la caissière Monique.
Soudain, ils sont entrés dans le magasin. Lui, la quarantaine, tendu, le visage émacié, prêt à bondir sur le premier venu. Elle. La jeune trentaine. Le teint vert gastro, elle regardait le plancher. Tout à coup, on ne riait plus. J’avais ce flash d’un film western lorsqu’un méchant entrait dans le saloon et qu’on aurait pu entendre une mouche voler. Pareil, pareil.
La fille demande un paquet de cigarettes. Puis elle se tourne vers son chum en lui tendant la main, elle quête comme un sans-abri. Le gars lui donne des sous qu’elle remet à Monique. Bon chien-chien… Puis, il tourne son regard de porc frais vers moi. On se s’yeute pendant plusieurs secondes, je soutiens son regard. Il se tanne. Pousse la jeune femme vers l’avant. Ils sortent. Monique me le confirme. Ben oui Mimi, c’est une femme battue, la pauvre. Tout l’monde est au courant dans le village. Chacun ferme sa gueule. Que veux-tu, elle ne porte aucune marque de violence, que finit par me dire Monique. Pas de marques, pas de marques, que je répète en retournant au chalet.
C’est vrai que des métastases à l’âme, ça ne se voit pas. Que du brouillard dans le regard, ça s’estompe, que les propos violents en acier trempé ne sont souvent entendus que par la victime. J’ai bien vu que ses cordons du cœur traînaient dans la swamp. Et j’ai également remarqué cet homme dépourvu de pouvoir intérieur serrer les poings en marchant. Lui-même a peut-être grandi auprès d’un père violent.
Avant de quitter le dépanneur, je m’informe. Où demeurent-ils? Elle me regarde l’air découragé : dans le tournant, tu prends le petit chemin. C’est au fond à l’orée du bois. Bien sûr que je me dis. C’est classique. Le Petit Chaperon Rouge et le Grand Méchant Loup qui la dévore toute crue. Bien sûr…Ce que je vous raconte s’est passé voilà bientôt une dizaine d’années.
Ce qui m’est resté de cette rencontre, c’est la force du non-dit. La loi de l’omerta. Comme a déjà dit Hillary Clinton : trop de femmes dans trop de nombreux pays parlent la même langue : le silence. Je me revois encore dans ce dépanneur et surtout je revois ses grands yeux de poisson frit qu’elle a levés vers moi quelques secondes dans lesquels se battaient des nuages qui refusaient de crever. À celui qui parle avec ses poings, je lui dirai ceci. C’est au moment où tu vois un moustique se poser sur l’une de tes testicules que tu te rends compte qu’il y a moyen de régler certains problèmes autrement que par la violence…