Zone lâcher prise
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À la suite des nouvelles mesures annoncées cette semaine, et surtout à en lire les réactions, le premier mot qui me vient en tête est « névrose ». Selon Larousse, la névrose est une affection caractérisée par des conflits qui inhibent les conduites sociales et qui s’accompagnent d’une conscience pénible des troubles.
J’ai l’impression que plusieurs d’entre nous sommes rendus là, car on a atteint un niveau où l’on croit pouvoir juger par nous-mêmes de ce qui va, et de ce qui ne va pas – nous voilà donc confrontés à nos valeurs, et à nos propres maux, ceux d’une crise passée… et d’une à venir. La connaissance et l’expérience nous permettent peut-être de relativiser et d’être mieux préparé, mais le problème, c’est que plus le temps passe, plus j’ai l’impression que la patience et l’incompréhension cèdent leurs places à l’intolérance et à l’arrogance.
« Ça s’en va pas du bon côté mon homme », me dit calmement un jeune ami et entrepreneur de 73 printemps qui en a vu d’autres. Il conserve un sourire contagieux, tout en étant réaliste : « On est en octobre et c’est déjà le bordel, ce serait un peu fou de penser que les prochaines mesures vont être moins restrictives, mais il faut continuer de vivre pareil », me dit avec une légèreté assumée, cet amoureux de la nature. Son optimisme résiliant me fait du bien et détonne avec les visages longs que je croise autant sur le web qu’à l’épicerie. Il parle avec passion de la splendeur des jardins et vante les milles et une beautés de l’automne, qu’il qualifie de « vrais miracles », miracles dont il est le promoteur et le gardien. D’ailleurs, je soupçonne que son énergie et son équilibre viennent en bonne partie de tout le temps qu’il passe à nourrir sa passion du jardinage.
Son histoire et sa philosophie me rappellent un peu celle de feu Lorenzo Pellegrini, l’homme qui parlait aux arbres de la Vallée de Joux, un jardinier de la forêt qui grimpait encore aux épicéas rouges à l’âge de 80 ans ! Je me suis donc replongé dans son univers insolite en réécoutant ce court métrage de 26 minutes intitulé « Le cueilleur d’arbre », dans lequel on découvre une âme grandiose, un humble bûcheron extrêmement attachant, et dont la vie est tirée tout droit d’un conte fantastique. Lorenzo qui a commencé à travailler dans les bois dès l’âge de sept ans, y passera finalement toute sa vie – son legs en est un d’espoir, de travail, de résilience et surtout, d’harmonie avec la nature. Dans ce film, on peut le voir enlacer les arbres et leur parler, les traitants comme ses meilleurs amis. Même sans le vouloir, Lorenzo rappelle l’importance de se ressourcer, de revenir à l’essence même de qui nous sommes : des organismes vivants qui font tous partie de la même « bulle ».
J’ai parfois l’impression qu’entre l’aliénation causée par la surinformation et la constance de la turbulence dans laquelle nous nous trouvons, nous oublions qui nous sommes et d’où nous venons. À force de jouer aux devins et de se prendre pour des fins fins, on a perdu nos repères et nos façons d’êtres.
Comme mon ami me l’a sagement rappelé en prêchant par l’exemple tout au long de sa destinée : les obstacles et la lucidité ne l’ont jamais empêché d’avancer, et ce n’est pas des contraintes additionnelles qui vont le faire changer d’idée. Au final, tout est tributaire de notre centre d’attention, et des moyens que nous choisissons pour maintenir notre équilibre entre repos et actions. Vivement le calme, l’abandon et le retour aux sources – je nous souhaite de vivre perpétuellement en zone verte – cet espace intérieur dont nous avons tous résolument besoin, accessible par un chemin nommé « lâcher prise ».
Lâcher prise ne veut pas dire ignorer ce qui se passe, ni se conformer, ni se rebeller. Ça veut juste dire observer et reconnaître, sans juger, sans résister, sans le pernicieux désir de contrôler et de tout réarranger. Puisse la paix nous habiter en ces moments singuliers.