Scrabble libertarien
« Tu n’es pas sérieux… tu ne vas pas parler de censure, de la prof d’Ottawa et de la polémique de La petite vie dans ta chronique ? », me demanda, visiblement inquiète de l’opinion des autres, ma précieuse confidente. « Oui, je suis plus capable de rester passif devant cette forme d’obscurantisme volontaire collective, et ce nivellement par le bas – faut que ça cesse ! »…de lui répondre votre chroniqueur, communément plutôt sage et patient, mais cette fois-ci, résolument irrité.
Oui je vis une frustration, une qui cache certainement une peur, une peur que collectivement, nous perdions nos repères, notre légitimité de nommer, notre faculté à s’interroger et à critiquer. Une crainte que l’on devienne à l’aise, ou pire, indifférents à l’idée de se faire dicter ce qu’on a le droit de dire et de montrer, par une poignée de cultivateurs de la honte – des gens qui sèment la culpabilité d’exister et d’avoir existé, dans le jardin des habitants de cette contrée, majoritairement pacifiste, qui ne demandent qu’à dialoguer.
La tranchant de la liberté
Ce sentiment étouffant de censure et de « marchage sur des œufs » qui plane actuellement au Québec et au Canada m’agace profondément, mais surtout…m’inquiète. Lorsque j’ai entendu parler de la prof d’université d’Ottawa suspendue (et ensuite lynchée) pour avoir utilisé le mot en « N » en classe, dans un contexte exclusivement académique…je n’en revenais tout simple-ment pas. Lorsqu’est venue l’histoire du retrait, et de la réintégration « balisée » de l’épisode de la Petite Vie par Radio-Canada, j’étais carrément alarmé.
Je crois que ça va trop loin
J’avoue…j’avais mis le couvert sur la marmite, je m’étais fermé momentanément les yeux et bouché les oreilles, histoire de me protéger un peu, jusqu’à tant que j’écoute les propos de l’humoriste Adib Alkhalidey à la télé la fin de semaine passée. M. Alkhalidey est un homme que j’apprécie et que je respecte, il a parlé avec éloquence de sa perception et de son vécu que je ne saurais juger ni prétendre comprendre. Mais lorsque l’on vient affirmer que « les personnes racisées sont (toutes) des apatrides », et dire qu’ils ne sont pas représentés au petit écran à part quand vient le temps de les humilier et de les ridiculiser, je crois que ça va trop loin. Lorsqu’il a dit que l’on « privait une génération au complet du droit d’appartenir et de s’identifier au Québec »…. Je trouve qu’on tombe vainement dans le blâme, et qu’il y a un arrière-goût de victimisation qui au final, ne va certainement pas contribuer à réconcilier ni à unir.
Responsabilité et histoire
Je crois que l’on utilise trop souvent le mot « droit » et que l’on exclut presque systématiquement à tort le mot « responsabilité ». Je pense aussi qu’il faut arrêter ce discours teinté de « vous » et de « nous » qui surligne inutilement un fossé – c’est une forme de ségrégation verbale moderne qui fait la promotion de la division et contribue selon moi, à perpétuer les différences.
J’ai grandi en jouant aux cowboys et aux indiens, j’ai écouté Plume et Yvon Deschamps, lu Pierre Vallières et Dany Laferrière, et plus tard, j’ai regardé Samedi de rire et Piment Fort – c’était ça mes modèles. Mes parents écoutaient Le temps d’une paix, j’ai donc aussi grandi avec Ti-Coune comme image de personne mentalement handicapée. Impensable de répéter ça aujourd’hui – on a appris, et on comprend maintenant que ça pouvait assurément blesser certains nos semblables, et alimenter l’ignorance crasse d’une minorité de nos écervelés, même si dans le cas de beaucoup d’œuvres, les intentions étaient nobles , faut-il le rappeler. Est-ce que l’on doit pour autant jeter l’entièreté de ce que l’on a fait (et été), sans aucun discernement, et sans se donner la peine de réfléchir et de discuter, juste par peur de choquer ?
Impossible de cerner la question en aussi peu de mots ici aujourd’hui, mais je vais vous dire, je ne crois pas que l’on va régler le racisme et définir collectivement ce qui est acceptable ou non de prononcer ou de montrer, en cédant au chantage et en empêchant entre autres, les enseignants d’enseigner ce qui a été. Entre Tremblay et Alkhalidey, le respect des différences individuelles passera peut-être par la plus commune des visées, et c’est ce souhait de bâtir une meilleure société qui devrait peut-être nous mobiliser.