Passeport de l’inconfort
Il y a eu un temps où aborder des sujets politiques déchaînait les passions et divisait parfois même des familles, si bien que plusieurs évitaient carrément d’en parler lors de rencontres. Aujourd’hui, les décisions de l’État face à la crise sanitaire ont clairement pris le dessus sur les questions constitutionnelles, qui elles ont été rangées dans des boîtes de carton, empilées quelque part dans la noirceur d’une garde-robe.
Ce qui se passe depuis l’annonce de l’imposition du passeport vaccinal est fascinant sur le plan social – force est de constater que cette situation a le don de faire ressortir le meilleur et le pire chez les gens. Non mais sérieusement, questionner de manière vive l’imposition de cette mesure est une chose, l’asperger de parfum « nazisme #41 » est carrément délirant, pour ne pas dire troublant.
En marge des commentaires extrémistes sur les réseaux sociaux, ce sont les gestes publics qui me dérangent le plus : brandir fièrement une affiche sur laquelle est écrit « Passeport NAZItaire », ou porter une étoile jaune, symbole discriminatoire imposé par l’Allemagne nazie aux Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale est choquant et disjoncté. Avons-nous si peu de culture, de sensibilité ou de savoir-être élémentaire pour confondre une mesure coercitive de santé publique, et un génocide industrialisé qui a fait 6 millions de victimes ?
Des craintes justifiées?
Les médias mettent souvent l’emphase sur des déséquilibrés lorsque vient le temps d’illustrer des réactions publiques suivant des annonces gouvernementales. Ce qui est dommage, c’est que ça fait ombrage aux questions de fond, posées par des gens crédibles et bien intentionnés. Je suis d’avis que lorsque l’on impose une telle contrainte, spécialement à vitesse grand V, il est normal (et sain) que des gens questionnent la légitimité et les ramifications, à débuter par les partis d’opposition. J’aurais aimé que nos élus s’unissent, discutent et fassent front commun avant d’introduire une telle mesure, car si la rapidité d’exécution est importante, plusieurs enjeux éthiques, économiques, sociaux et légaux le sont tout autant, sinon plus.
Je trouve que l’on a raté une belle occasion d’informer et de préparer en collégialité un plan d’action plus articulé avant de se lancer dans une telle entreprise. J’aurais souhaité que l’on investisse autant d’argent en publicité pour m’expliquer les tenants et aboutissants d’un projet de passeport, que pour essayer de me convaincre (lire, de me faire peur) que si je voulais être aimé par mes amis et ne pas devenir un rejet de la société, il fallait que je me conforme.
Personnellement, je fais confiance à la science et je ne crois pas que mononcle Bill va me surveiller avec sa micropuce satanique, et va se frotter les mains en riant de manière machiavélique lors de l’entrée en vigueur du passeport sanitaire. Je veux juste pas être pris pour un imbécile, et que l’on joue avec mes sentiments – je veux que l’on me parle avec authenticité, sans sucre ajouté, ni joute de culpabilité. Je suis plutôt au centre, je ne suis pas « anti-rien » ni « pro-tout », et je crois que le monde gagnerait à être plus nuancé, à commencer par les autorités.
Gérer les attentes
« Le passeport sanitaire, c’est pour éviter d’être reconfiner » – ainsi va la promesse du ministre de la Santé. Je ne sais pas qui le conseille, mais de grâce, il faut faire attention, car ça me rappelle étrangement un certain « ça va bien aller », et on a tous assistés à la pléiade de décisions « yoyo » qui ont suivies, et qui nous ont souvent découragées. Le moral collectif est toujours fragile, et l’été qui foutra le camp trop vite nous le rappellera douloureusement, spécialement si d’autres mesures devenaient nécessaires.
Dans le doute, il vaut mieux s’abstenir de faire des promesses qui risquent de ne pas être tenues – la réaction sera moins vive si les attentes sont adéquatement gérées, avec transparence, et honnêteté – la population mérite de savoir sur quel pied elle devra danser.