Communautaire à terre
J’ai le sentiment que le communautaire est souvent un laissez pour compte, un pris pour acquis, un abusé, un intimidé. J’en ai royalement soupé qu’on le maltraite et qu’on ne réalise pas que si seulement il décidait de foutre le camp en baissant les bras, c’est tout un pan de l’économie et de la société qui tomberait au combat. Depuis longtemps, j’ai l’impression qu’il est sous l’emprise malsaine (voire violente) d’un conjoint, l’état, par le truchement de ses représentants, situés hiérarchiquement entre le roi et ses sujets.
L’image est forte, mais le parallèle juste, au sens où ça fait des années que le communautaire est dans un rapport de force inégale et pervers avec ses geôliers, si bien que plusieurs organisations ont depuis décidé d’abdiquer devant le « mâle dominant » qu’est le fonctionnariat, qui normalise son abus de pouvoir systémique. Devoir se battre avec des tire-pois pour protéger et promouvoir la dignité de milliers d’êtres humains chaque jour, en tentant de faire com-prendre aux fonctionnaires qu’une personne n’est pas une case à cocher dans un formulaire standardisé, il y a de quoi se décourager.
Les nombreux visages du communautaire
Le communautaire, ce n’est pas une bande de naïfs aux cheveux longs qui font brûler de l’encens en appelant les chamans au son ésotérique de leur guitare artisanale. Ce sont des femmes et des hommes de tout horizon réunis autour d’une seule valeur : le bien absolu de la communauté, pour la communauté, par la communauté. Dans le temps de mes aïeux, l’action communautaire était naturellement portée par tous. Ça impliquait, par exemple, que ma grand-mère préparait de la nourriture en surplus pour les moins bien nantis de la communauté, et que mon grand-père faisait don de ses services de plomberie à ceux qui étaient mal pris.
Depuis, certains ont maîtrisé l’art d’ambitionner sur le pain béni, et conséquemment, plusieurs pans du communautaire se sont malheureusement fait endoctriner à force de se faire organiser par des petits malins qui ont vite réalisé tout le « cheap labour » que ce mouvement de la base pouvait représenter.
Ainsi donc, les instances qui finissent en « usses », en « isses », en « ités », et combien d’autres, ont depuis instrumentalisé le mouvement en le tenant en joug, à grands coups de menaces de coupures de fonds, réussissant même à créer une compétition malsaine entre les organisations sur le terrain. Ces empereurs de la paperasse ont même créé des programmes de financement dans lesquels ils dictent exactement comment le communautaire doit se comporter s’il veut espérer avoir du financement pour aider sa communauté – vous imaginez le piège à cons qu’ils ont réussi à créer ?
Pourquoi ce système abusif et usurier ?
C’est la question à cent piastres. Est-ce l’œuvre de fonctionnaires machiavéliques, le complot d’une poignée d’individus mal intentionnés ? Évidemment que non. À leur décharge (partielle), les fonctionnaires en place en ce moment ont grandi dans ce système, et ne font tristement que perpétuer ce qui est en force depuis des années, présent bien avant leur arrivée – le pourquoi est facile à figurer.
Combien croyez-vous que ça coûterait à l’état d’employer des fonctionnaires conventionnés pour opérer des centres de jour pour des personnes en perte cognitive, et fournir du répit aux proches aidants, à la grandeur du Québec, uniquement sur un modèle public ?
Combien ça coûterait aux municipalités d’employer des fonctionnaires pour gérer les clubs sportifs à la place des OBNL communautaires qui les administrent actuellement ?
Avez-vous pensé aux popotes roulantes, et à tous les centres qui font de l’accompagnement médical (lire, qui joue au taxi gratuit), et préviennent l’isolement de nos aînés en offrant des visites et des appels ? Ça répond en partie à la question.
Pour ceux qui pensent que le Québec a un système à deux vitesses, détrompez-vous, nous avons bel et bien un système à trois vitesses : il y a le public, le privé, et le communautaire. L’équilibre de cette chaise à trois pattes est extrêmement fragile et tout ce que je demande aujourd’hui, c’est que l’on respecte l’intégrité et la souveraineté des organismes qui ont décidé de porter les valeurs fondamentales sur lesquelles a été bâtie notre contrée.