Adieu monsieur le professeur
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Je me fais un devoir quotidien de prendre mes distances du tapage social, et de tout ce bruit – vous savez, le genre qui vide les batteries. Je crois que l’on vit collectivement des moments à la fois historiques et éprouvants, et que la dyade espoir-désarroi évolue dorénavant dans de toutes nouvelles conditions, des conditions extrêmes, qui vont au-delà de notre imagination.
Ces temps-ci, entre les altercations idéologiques souvent primaires, et les autres inlassables verbiages, notre cerveau fait ce qu’il peut pour traiter l’information et contribuer à l’homéostasie. Mais entre la piètre performance de plusieurs citoyens au jeu « Quelques arpents de pièges », et les débats sémantiques, la violence brute, elle, a refait surface, le temps de nous rappeler que cette « grande cuvée » 2020 était loin d’être terminée.
C’est un peu comme si nous avions oublié la réalité en marge de ce qui occupe l’actualité depuis mars dernier. Nous étions peut-être engourdis, trop occupés à jouer aux docteurs et aux premiers ministres, ou encore sous l’emprise de cette maladie contagieuse, celle qui enjoint les miséreux à donner frénétiquement leur opinion sur tout et sur rien, partout et à chaque instant. Du bruit. Encore du bruit. Et puis bang. Un autre type de son est venu briser la nuit, à Sainte-Adèle P.Q., là où la montagne a pleuré, abasourdie devant ce geste d’une violence inouïe, commis en plein cœur de notre communauté, elle qui cherche encore à comprendre ce qui s’est passé.
Samuel Paty
C’est dans une paisible école de Conflans-Sainte-Honorine qu’il exerçait l’un des métiers les plus précieux et primordial de notre société, celui d’enseignant. Alors qu’il donnait un cours sur « les contours et les limites de la liberté d’expression », il a osé montrer à ses élèves des caricatures de Mahomet, issues du journal français satirique Charlie Hebdo, dans le but de stimuler la discussion et développer l’esprit critique. Il a ensuite été sauvagement assassiné, et la simple pensée des circonstances entourant ledit geste me perturbe encore. J’ai tenté de rationaliser, mais je n’y arrive pas. Un être humain qui arrive à poser un tel geste envers un semblable, présumément au nom de la religion, fissure mon âme.
En regardant les fils de presses français, je suis tombé sur des images montrant un rassemblement hommage à la Place de la République à Paris dimanche passé, alors qu’un homme guitare à la main s’est mis à chanter :
« Adieu Monsieur Le Professeur, On ne vous oubliera jamais… »
C’était beau, et magnifiquement troublant, alors que j’ai eu une pensée pour tous les M. Paty de ce monde, qui comme le professeur Keating dans le film La Société des poètes disparus, encouragent le refus du conformisme, favorise l’imagination, valorise la curiosité et la liberté. Puis j’ai immédiatement eu un sentiment de profonde gratitude envers les gens de chez nous, ces femmes et ces hommes qui chaque jour, influencent et façonnent aujourd’hui les cerveaux de demain, de Ste-Agathe à Saint-Jérôme en passant par Val-Morin.
Ils le font avec leur cœur, leur personnalité, leur conviction, et c’est largement plus important que la simple visée d’un bout de papier. Ils ne sont pas là uniquement pour former des futurs diplômés, ils sont là pour contribuer à faire de nos enfants des êtres humains plus équilibrés, des citoyens responsables et éclairés, conscients de la portée et des mots respect, égalité, et collectivité.
Il existe de très nombreuses maladies virales, mais celles qui sont de loin les plus dangereuses sont l’ignorance et l’endoctrinement. Heureusement, deux puissants vaccins sont disponibles partout dans le monde et sont à la portée de tous : l’éducation et la bienveillance. Le Québec n’est pas la France, certes, mais nous ne sommes pas pour autant immunisés contre la bêtise et à l’abri de l’extrémisme. Ça commence à la maison, et ça se poursuit à l’école, où nos précieux enseignants doivent continuer d’éduquer, mais surtout, d’éveiller les consciences de nos jeunes, sans censure et en toute liberté. Donnons-nous la mission de toujours les protéger, ce sera la meilleure des polices d’assurance-responsabilité pour le bien commun de notre société. En hommage à leur métier et en guise de solidarité, aujourd’hui et pour toujours, #JeSuisProf et je le resterai.