C’était bien plus qu’une bergerie
Par Frédérique David
Il est des lieux qui ne se racontent pas, parce qu’ils se vivent. Le Mouton noir était de ceux-là. Un lieu de rassemblement, un lieu de vie, de rire, de rencontres, de souvenirs. Un havre de bonheur, un cocon douillet, un endroit où il faisait bon s’arrêter, se poser, aller à la rencontre de l’autre, retrouver de l’humanité dans un monde devenu trop artificiel. Sur la grande terrasse, tout près de la rivière, ou dans sa chaleur enveloppante, nombreux étaient ceux qui avaient fait du Mouton leur bergerie.
Il est des lieux qu’on imagine éternels, parce qu’on ne peut penser un avenir sans. Le Mouton noir avait imprégné trop de mémoires pour qu’on puisse concevoir un futur duquel il serait effacé. Il allait fêter ses vingt ans. Vingt ans, dans le monde de la restauration, c’est l’âge d’or! Entre temps, de grands noms ont disparu, comme La Sapinière, le Bistro à Champlain, L’eau à la bouche qui jouissaient pourtant de renommées provinciales. Lui, le petit café bistro sans prétention, marquait le temps d’une trace indélébile dans la mémoire collective.
Il est des lieux qui ne s’accommodent plus de noms communs parce qu’ils sont bien plus que ça. « Café », « bistro » ne pouvaient définir l’unicité de l’endroit. Mouton était devenu un nom propre. On en parlait comme d’une personne, d’un chum, de celui qui sait t’écouter, te réconforter, te divertir. On se rejoint au Mouton? C’était le propre des membres du troupeau qui se faisaient plus nombreux et plus fidèles avec le temps. C’était dans le langage quotidien des Val-Davidois et des autres. Nul besoin d’écrire une adresse sur un bout de papier ni d’un GPS. Le Mouton, on ne le cherchait plus parce qu’on l’avait adopté. Son ADN était gravé dans notre mémoire collective.
Des concepteurs uniques
Le Mouton doit son unicité et son humanité à ceux qui l’ont mis au monde. Annie Riendeau et son conjoint Éric Lemieux sont les auteurs de tous ces moments magiques gravés dans les mémoires. Ils sont ceux qui ont transformé le Continent en bergerie, sans autre prétention que créer un lieu de rencontres humaines et d’échanges culturels. Et ils l’ont fait avec brio! Val-David avait toujours figuré sur la carte musicale, avec La Butte à Mathieu et Chez Coco. Les artistes qui se sont succédés sur la micro-scène du Mouton Noir ont fait de ce lieu un incontournable du milieu culturel québécois. Les artistes aimaient y revenir pour l’accueil chaleureux et l’ambiance intimiste. Des soirées avec Mara Tremblay, Half Moon Run, Fred Fortin, Dany Placard, Les Sœurs Boulay, The Barr Brothers et j’en passe sont restées gravées dans de nombreuses mémoires. Passionnés de musique, les propriétaires avaient à cœur de faire découvrir de nouveaux talents et d’offrir une programmation originale et de qualité.
Annie Riendeau et ses acolytes féminines tenaient les rênes du mythique Mouton depuis plusieurs années, faisant face à un vent plus fort depuis la pandémie. On le sait, le milieu culturel ne l’a pas eu facile ces dernières années. On a pourtant besoin de ces petites scènes musicales qui nous procurent tant de bonheur et permettent à une relève d’exister. Les flammes ont ravagé ce lieu qu’on avait fait nôtre et les moutons sont désormais sans repère. L’histoire ne dit pas s’il pourra renaitre de ses cendres, mais les espoirs sont là et la communauté tissée serrée du Mouton se mobilise pour que son plancher de danse se remette à vibrer. On ne peut concevoir les Laurentides sans ce lieu devenu emblématique, sans le Mouton chéri de tous, sans ce havre unique d’échanges et d’humanité.