Backlash et sororité

Par Frédérique David

Je n’ai pas écrit sur l’élection de Donald Trump, parce qu’il n’y a pas de mots pour expliquer l’inconcevable. Les conséquences seront terribles, notamment pour les femmes. Le backlash n’a pas débuté avec son élection, il s’observe depuis un certain temps déjà.

« Jamais je n’aurais cru vivre une époque où on élirait un violeur à la tête des États-Unis. Jamais je n’aurais cru vivre autant de backlash. Il est difficile pour les femmes de continuer d’être joyeuses », déclarait l’autrice Élise Turcotte récemment. C’était lors d’une rencontre organisée par le Salon du livre de Montréal pour présenter les cinq finalistes du tout nouveau prix littéraire Janette-Bertrand. Un premier prix littéraire féministe au Québec qui s’annonce prometteur, avec nulles autres que Léa Clermont-Dion, Martine Delvaux, Claudia Larochelle, Élise Turcotte et Marie-Hélène Larochelle parmi les finalistes. Toutes étaient présentes aux côtés de Pauline Marois, présidente du jury, et de Janette Bertrand.

Ce qu’il reste de #MeToo ?

L’événement littéraire auquel j’ai eu la chance d’assister se déroulait peu de temps après que l’actrice française Béatrice Dalle, de passage à Montréal dans le cadre du festival Cinémania, ait malmené les femmes qui portent plainte contre leur agresseur 30 ans plus tard. « Pourquoi tu mets 30 ans à porter plainte ? », a-t-elle déclaré au micro de Marie-Louise Arsenault, ajoutant ensuite que les actrices qui ont été victimes de réalisateurs et de producteurs étaient souvent de mauvaises actrices. On reviendra pour la sororité ! Il est bien triste d’entendre des propos aussi méprisants de la bouche d’une femme, même si on sait pertinemment que Dalle aime provoquer. Il faut lire Porter plainte, l’excellent essai de Léa Clermont-Dion pour mieux comprendre combien il est difficile de se relever d’une agression sexuelle, de trouver le soutien et l’écoute, et d’affronter un système qui a encore recours aux préjugés et à la suspicion. Les propos de Béatrice Dalle ne sont que le reflet de ce qu’il reste de #MeToo. « Quel bilan en tirer ? Je ne peux m’empêcher de retomber dans un certain pessimisme : le ressac contre le mouvement et celles et ceux qui dénoncent est virulent », écrit Léa Clermont-Dion dans Porter Plainte.

La peur au ventre

La veille de l’événement littéraire de Montréal, Léa Clermont-Dion était à Québec pour présenter son tout nouveau documentaire La peur au ventre mettant en lumière la force du mouvement antiavortement. Elle y a reçu des propos très durs de la part de personnes antiavortement. Qui aurait cru que le Québec de 2024 afficherait un tel recul ? Qui aurait cru que les luttes menées par nos grands-mères et les femmes qui les ont précédées seraient à refaire ? « On parle beaucoup de tout ce qui se passe au sud, mais il y a un risque chez nous aussi, mettait en garde Pauline Marois. La montée de la droite a libéré une parole misogyne. »

Violence et discours misogynes

On assiste actuellement à un discours misogyne décomplexé qui teinte l’espace public d’une violence inquiétante. Les propos tenus par des influenceurs masculinistes sont d’autant plus préoccupants qu’ils sont écoutés par des jeunes. Il faudra donc que les femmes écrivent, parlent et ne se taisent surtout pas. Les luttes à mener sont nombreuses. Les victoires du passé ne sont plus des acquis. Les droits des femmes s’effritent. Simone de Beauvoir nous avait prévenues. « Le silence, dans certains moments de l’Histoire, n’est pas de mise. », déclarait l’autrice française Annie Ernaux dans son discours de réception du Nobel de littérature en 2022. Ce prix lui a valu un torrent d’attaques ignobles qu’un homme n’aurait pas reçu, on va se le dire. Annie Ernaux a ajouté : « Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et/ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais également collective. »

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