Vote stratégique
Par Simon Cordeau
Est-il mieux de voter pour le candidat qui est le plus près de nos positions, ou pour un candidat qui a une chance de gagner? À chaque élection, la question du vote stratégique fait controverse. Discussion avec Joëlle Bolduc, professeure de science politique au Cégep de Saint- Jérôme, pour y voir plus clair.
« Ce n’est pas évident de faire le calcul du vote stratégique », prévient Mme Bolduc d’entrée de jeu. Tout d’abord, il y a notre mode de scrutin.
Au Canada (et au Québec), nous avons un scrutin majoritaire uninominal à un tour. C’est-à-dire qu’on vote une seule fois, pour un candidat dans notre circonscription. Le candidat qui a le plus de votes l’emporte, qu’il ait la majorité des voix ou non. C’est ce qui a permis, par exemple, au Parti libéral de remporter la majorité des sièges en 2015, avec seulement 39,5 % des votes.
Mme Bolduc souligne que ce système favorise le bipartisme, soit l’existence de seulement deux partis qui s’échangent le pouvoir. Les Républicains et les Démocrates aux États-Unis en sont un exemple.
« Le mode de scrutin lui-même incite au vote stratégique. Si on avait un mode de scrutin proportionnel, la question ne se poserait même pas. On ne sentirait pas que notre vote peut être gaspillé. Mais le scrutin uninominal à un tour peut donner cette impression-là. Ça ne sert à rien de voter pour un candidat marginal, parce qu’il n’a aucune chance de gagner, et son parti encore moins », illustre la professeure. « Si on ne veut pas perdre notre vote, on se rabat sur les grands partis. Au moins, on fait élire le parti qui est le moins pire. »
Tiers partis
Au Canada, cependant, les choses sont un peu différentes. Des partis régionaux, comme le Bloc québécois, ou plus petits, comme le Nouveau Parti démocratique (NPD), viennent brouiller les cartes. « Malgré ça, c’est juste le Parti libéral et le Parti conservateur qui s’alternent le pouvoir depuis le début de la Confédération », rappelle Mme Bolduc.
Pour que les choses changent, il faut un mouvement de masse, comme celui qui a porté la Coalition Avenir Québec au pouvoir, en 2018. « Mais cela s’est fait au détriment d’un autre parti, le Parti québécois, qui a été relégué au rang de 3e, voire de 4e parti », souligne la professeure.
Avantages concrets
Cela dit, il y a tout de même des avantages bien concrets à voter pour un candidat qui a peu ou pas de chances de remporter la circonscription. Par exemple, un parti peut se faire rembourser 50 % de ses dépenses électorales s’il remporte au moins 2 % des suffrages à l’échelle nationale ou 5 % dans les circonscriptions où il présente des candidats.
Pour être invité aux débats des chefs, le chef d’un parti politique doit soit avoir un député élu au moment du déclenchement des élections, soit avoir au moins 4 % des votes lors de l’élection précédente, soit avoir au moins 4 % des intentions de vote selon les principales firmes de sondage. « C’est une grosse tribune, qui permet de se faire connaître. Si le chef réussit à se distinguer, ça peut augmenter le nombre d’électeurs qui vont voter pour son parti et faire changer les choses », explique Mme Bolduc.
Et même si, par exemple, le Bloc québécois ne prendra jamais le pouvoir, élire des députés bloquistes peut augmenter les chances d’un gouvernement minoritaire. « Si c’est ça qu’on veut, ça peut être une stratégie intéressante. »
Seul dans l’isoloir
« La meilleure chose à faire, c’est de se renseigner, et voir quel parti correspond le mieux à mes valeurs et à mes positions. » Au bout du compte, la question est personnelle pour chaque électeur. « Comment je me sens de donner mon vote à tel parti ou à tel candidat? », conclut Mme Bolduc.