(Photo : Simon Cordeau)

Les bêtes qui rôdent au MAC LAU

Par Simon Cordeau

Le Musée d’art contemporain des Laurentides (MAC LAU) présente l’exposition Archéologies du vivant jusqu’au 19 mars. On y retrouve les animaux étranges et fabuleux, faits de métal et de céramique, du sculpteur Michel Beaudry. On y contemple les toiles cryptiques, ironiques et dégoulinantes de Raynald Connolly. L’ensemble crée un bestiaire ludique, une forêt truffée de symboles et d’allégories. Visite avec les deux artistes.

« Tout est un principe de plaisir chez moi », explique Beaudry. Malgré leur aspect imposant, ses animaux sont plus joueurs que menaçants. Il y a un renard arctique, sautant et tout argenté; un sanglier au nez de bois; un pangolin aux écailles de cuivre; un ours en mortier qui grogne. Dans une alcôve, une figure humaine à tête de reptile se tient debout, solennel. Sa prestance rappelle un dieu égyptien. Sur le grand mur, de nombreux oiseaux en céramique donnent l’impression d’être dans une volière. « Ça attache tout ensemble. Ç’a un effet extraordinaire », s’émerveille l’artiste.

Un dialogue entre l’oeuvre et l’artiste

Selon le sculpteur, le nom de l’exposition, Archéologies du vivant, évoque la « profondeur du temps » qu’on voit sur ses animaux. Ceux-ci vivent dehors. Et leur exposition à la nature vient compléter leur création. L’artiste me montre son porc-épique en guise d’exemple. Assez massif, il est fait d’innombrables lanières acérées et orange. « Je l’ai fait en acier au carbone. Je voulais cette couleur de rouille. Donc je l’ai mis dehors. Après un mois ou deux, il était comme ça. »

Pour d’autres, l’extérieur révèle plutôt leur fragilité. « Il faut leur faire attention l’hiver », explique Beaudry en pointant son grand alligator par terre. « La céramique, s’il y a la moindre petite fissure, elle peut craquer. »

En discutant avec l’artiste, on comprend que ses sculptures sont presque vivantes. Elles se transforment tout au long de leur création, et même au-delà. « Je n’ai pas de dessin quand je commence une sculpture. Je n’ai qu’une image en tête : une idée, une émotion. Et c’est comme si l’animal se dégageait au fur et à mesure que je travaille. L’intérêt de l’acier, c’est que ça permet de changer d’idée en cours de route. Le métal est un matériau qui pardonne beaucoup. Quand on s’est trompé, on coupe, on recommence et on ressoude. Ça donne beaucoup de liberté. »

Chaque pièce de métal ou de céramique est couverte de lignes et de symboles. Certains symboles sont coupés à la torche, d’autres sont coulés avec du bronze. Ils donnent aux animaux de la texture et du contraste, mais aussi un aspect fantastique ou mythologique. « En général, j’essaie de créer une petite histoire. Ça se lit à différents niveaux. »

L’ironie du réel

Les toiles de Raynald Connolly sont plus difficiles à décrypter. Elles semblent contenir des secrets, des sens cachés. L’artiste m’en confie quelques-uns, à voix basse. Un grand triptyque montre des têtes bleues, humaines, qui sortent d’un cocon. L’un d’eux a des ailes de papillon, fixées à côté. On peut lire « Mutation » sur l’oeuvre. « Celui du milieu, c’est un oracle. Il fait des prophéties, pour la suite. » Sur des grandes toiles, on retrouve aussi des abeilles, des insectes, des homards, des oiseaux aux couleurs vives.

Je question l’artiste sur les coulisses de peinture, qui se trouvent sur presque toutes ses toiles. « Ah, les dégoulinures! Il y en a plein qui se posent des questions. [Rires] Pour moi, c’est l’essence intérieure du personnage ou de l’animal qui coule. Et ça fait partie de mon esthétique. »

Certains aspects de ses toiles rappellent le surréalisme, mais M. Connolly insiste : « C’est du réalisme. J’essaie de rendre le plus possible l’intérieur de la personne. » Il donne l’exemple de ses mosaïques de portraits par catégorie. « Il y a les philosophes, les poètes… Je vais peut-être en faire d’autres après l’exposition. » L’une montre des dictateurs à travers l’histoire. Une autre, des sourires perturbants.

Ses oeuvres sont parfois oppressantes ou malaisantes, comme Transmutation avec ses deux aigles menaçants et le chiffre 666. C’est que Connolly aime mettre de l’ironie et de l’humour dans ses toiles. Le bon profil montre un crâne, une tête de mort. Sur une autre, on voit un visage en décomposition au-dessus duquel on peut lire : « Parfois la vie nous réserve des surprises ».

« Quand j’étais jeune, à 14-15 ans, je lisais beaucoup : Dostoïevski, Tolstoï et les Russes. Après j’avais décidé d’écrire, et j’illustrais les chapitres. Et je me suis dit que j’étais meilleur en dessin qu’écrivain! [Rires] Maintenant, ça fait 60 ans », raconte le peintre. D’ailleurs, les mots font partie intégrante des toiles. « Parfois, ce sont des phrases clés pour appuyer mon travail. C’est pour engager le regard de celui qui regarde. »

Bientôt âgé de 80 ans, Connolly continuera de peindre aussi longtemps que possible, assure-t-il.

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