Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist veulent renverser la haine en ligne
Par Ève Ménard
Laurence Gratton est enseignante au primaire. Durant ses études à l’Université de Montréal, elle commence à recevoir des messages haineux provenant de comptes qu’elle croyait appartenir à des étudiantes de sa cohorte. Ce qui débute par des insultes pour qu’elle arrête de prendre la parole en classe se transforme au fil des années en harcèlement, en menaces de viol et en menaces de mort.
Laurence est l’une des cinq protagonistes du nouveau documentaire Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique, co-réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. La sortie du film dans les cinémas du Québec est le fruit de plus de sept ans de travail et de centaines d’entrevues.
Cinq personnages, cinq réalités
On y suit en parallèle cinq personnages : Glen Canning, père de Rehtaeh Parsons qui se suicide en 2013 à la suite d’harcèlement en ligne suivant la diffusion d’images de son viol collectif; Laura Boldrini, présidente de la Chambre des députés de 2013 à 2018 en Italie; Kiah Morris, ancienne représentante démocrate de l’État du Vermont; Marion Séclin, comédienne, auteure et youtubeuse française; et Laurence Gratton, enseignante au primaire au Québec.
Les deux cinéastes démontrent que la violence en ligne n’a pas de frontières et qu’elle ne se limite pas à une seule chose; elle touche tout le monde. Ça passe de « la fille au secondaire, à l’enseignante, à la politicienne », souligne Léa Clermont-Dion. Bien que cette dernière travaille depuis des années sur le sujet, elle se surprend encore de constater que cette haine n’est jamais anecdotique ou isolée.
Les quatre femmes présentées dans le documentaire ont tout de même quelque chose en commun : « à leur manière, elles prennent la parole et c’est ça qui dérange », affirme Guylaine Maroist. Après avoir publié une vidéo où elle dénonce le harcèlement de rue, Marion Séclin a reçu plus de 40 000 messages haineux. Kiah Morris est la seule élue noire à l’Assemblée du Vermont. Elle devient la cible d’un groupe d’hommes d’extrême droite qui veulent qu’elle retourne à Chicago, d’où elle vient. Laurence Gratton participe activement dans ses cours à l’université. On cherche à la faire taire par des menaces cyberviolentes.
Un enjeu de démocratie
Marion Séclin raconte que le harcèlement en ligne l’a affaiblie émotionnellement. Sa confiance et sa créativité en furent affectées. Laurence Gratton dit avoir cessé de lever sa main en classe. Devant la recrudescence des menaces et l’inaction de la police, Kiah Morris a démissionné de son poste en 2018 et est déménagée.
Dans la dernière année, Guylaine Maroist a enseigné à l’École des médias à l’UQAM. Elle a croisé la route de plusieurs étudiantes qui auraient aimé aller en politique. Mais elles n’avaient pas envie de vivre du cyber-harcèlement. « Plusieurs jeunes femmes n’investiront pas dans certaines sphères de l’espace publique parce qu’elles ont peur. À ce moment-là, il n’y a plus de démocratie », déplore-t-elle.
Il y a 7 ans, Léa Clermont-Dion a choisi de quitter Twitter après avoir reçu des menaces. Elle aurait préféré continuer d’y débattre et de s’y exprimer librement. « On ne devrait pas avoir à quitter l’espace public et voir notre droit de parole brimé parce que les agresseurs ne sont pas imputables », dénonce celle qui a étudié à la Polyvalente de Saint-Jérôme.
La clé : l’éducation
Le documentaire Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique n’est que la porte d’entrée vers un projet de plus grande envergure. Les deux réalisatrices sont habitées par la motivation profonde de renverser la vapeur et la haine. « Avec le film, on met le doigt sur un problème, on l’expose, mais on ne peut pas faire juste ça », explique Guylaine Maroist. Elles veulent aussi outiller, informer et éduquer.
Le site Web du documentaire regorge d’ailleurs de ressources pour sensibiliser les jeunes et le public aux cyberviolences. Il y a des capsules informatives animées par Léa Clermont-Dion, de l’information sur les recours judiciaires possibles en cas de cyberharcèlement et un guide pédagogique (SAÉ) destiné à éduquer les adolescents et à outiller les éducateurs.
Les deux réalisatrices iront aussi à la rencontre du public dans les salles de cinéma. Une campagne de sensibilisation sera lancée prochainement dans les écoles. Une formule ciné-conférence sera aussi offerte dans les établissements postsecondaires, les bibliothèques et les organismes communautaires, où la projection du film pourra être suivie d’une discussion sur place avec les cinéastes. Le potentiel de l’œuvre est exploité sous toutes ses dimensions, dans le but ultime d’ouvrir le dialogue.
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