Le récit humain de la bombe atomique
Par Simon Cordeau
La Bombe, c’est une bande dessinée de 450 pages qui raconte l’histoire de la bombe atomique, de sa conception à sa détonation, durant la Seconde Guerre mondiale. Avec une vingtaine de nominations, dont 5 prix déjà remportés, 78 000 copies vendues et une traduction en 13 langues prévue, c’est un succès international. Discussion avec son dessinateur, Denis Rodier, natif de Nominingue et résident de Rivière-Rouge.
« Ça faisait longtemps qu’Alcante et moi, on cherchait le bon projet pour travailler ensemble. Les projets qu’il me proposait étaient excellents, mais jamais pour moi. Tout à coup, il arrive avec ça, ce projet très ambitieux. Comme un gros pari. Là, j’ai voulu me lancer », raconte M. Rodier.
Pour aider à la recherche et à l’écriture, le Français Louis-Frédéric Bollée s’est ajouté au dessinateur québécois et au scénariste belge. « C’est de là que tout est parti : d’un désir commun de relater l’histoire, de la meilleure façon possible », ajoute le dessinateur aguerri.
La guerre en nuances de gris
L’histoire de la bombe est racontée à travers les personnages qui l’ont vu naître. On rencontre, entre autres, les scientifiques qui ont initié ou participé au Projet Manhattan, comme Leo Szilard, Enrico Fermi et Robert Oppenheimer; des saboteurs opérant en Norvège, pour priver les Allemands d’eau lourde et ralentir leurs recherches; et une famille japonaise de Hiroshima, dont le fils est pilote dans l’armée. On croise aussi Albert Einstein, Franklin D. Roosevelt, Staline et une foule d’autres personnages historiques.
« C’est important de tout mettre dans un contexte humain. Il faut éviter le manichéisme », souligne M. Rodier. Il rappelle que les êtres humains qui façonnent l’Histoire sont rarement noirs ou blancs, mais ont plutôt des teintes de gris. Par exemple, les Japonais sont à la fois agresseurs, à cause de leurs invasions et des atrocités commises, et victimes, à Hiroshima et à Nagasaki. Et Szilard sait que la bombe atomique sera une arme horrible. Mais s’il y a une chance qu’Hitler ait la bombe, il est impératif de la développer avant, le plus rapidement possible. « C’est sûr que ce n’est pas évident de trouver un côté humain à Staline ou à Hitler. Mais reste que la réalité est complexe », explique le dessinateur.
Avec près de 450 planches, la bande dessinée a donc le loisir de prendre son temps, d’aller dans les nuances et de dépeindre des personnages complexes… et humains. Certains détails qui semblent anecdotiques, comme l’amour du général Groves pour le chocolat, sont bien réels, souligne M. Rodier. Seule la famille japonaise est fictive.
Style
Pour rester abordable, l’ouvrage de 450 pages devait être imprimé en noir et blanc. Mais comme tout bon artiste, M. Rodier a vu une opportunité dans la contrainte. Il joue avec les contrastes et utilise des dispositions de cases dynamiques pour diriger l’émotion d’une scène ou guider l’attention du lecteur. Le noir et blanc donne aussi un ton sobre et sérieux à un sujet très chargé émotionnellement. « Ça permet un certain recul dans les scènes plus difficiles, comme la catastrophe à la fin du livre », illustre M. Rodier.
Parfois, le dessin permet un second niveau de compréhension, en formant un contraste avec une conversation ou en ajoutant une nuance. Le dessinateur avoue s’être amusé à insérer des clins d’œil, des motifs circulaires et des références au champignon atomique, comme une prémonition. « Je suis aussi musicien. Pour moi, c’est comme une partition : il y a des accents, des points d’orgue, des changements de rythme… »
Enfin, le grand format permet de se plonger dans ce récit captivant, dans ces dessins magnifiques et dans ces scènes tantôt graves, tantôt émouvantes. Par sa qualité, cette bande dessinée est, déjà, un incontournable du genre.