Le drame de « Ce matin-là »
Par Simon Cordeau
Dans son premier roman, Sonia Sévigny explore la détresse et la douleur qui peuvent nous pousser à commettre des actes de violence. Ce matin-là raconte l’histoire fictive de Matt, 16 ans. Enfant de la DPJ, fils d’une mère toxicomane, balloté d’une famille d’accueil à l’autre, il semble discret et calme. Mais à l’intérieur bouillent une souffrance et une solitude qui se transforment en colère. Un matin, son désespoir déborde et, dans la cafétéria de sa polyvalente, Matt met à exécution « son plan ».
L’auteure, qui enseigne le français à la Polyvalente Saint-Jérôme, explique ce qui l’a poussé à écrire cette histoire dramatique. « Je me suis imaginé la détresse et le gros désespoir : comment on se rend là? Et pourquoi? C’est réellement ça. […] Derrière chaque drame, il y a quelqu’un qui ne va pas bien. »
« Il y a aussi une grande crainte de société. Il y a beaucoup de détresse, pas nécessairement chez mes jeunes, mais dans notre société, lorsqu’on écoute les nouvelles par exemple », poursuit Mme Sévigny. Elle souligne qu’elle n’est pas psychologue et que son histoire est fictive. Mais les actes de violence, de plus en plus présents dans l’actualité, ont inspiré son imagination. « La façon de penser des humains m’a toujours fascinée. J’ai essayé de comprendre ce qui se passe dans leur tête à ce moment-là. »
Raconter la souffrance
Mme Sévigny écrit « souvent et depuis longtemps », explique-t-elle. Elle a commencé à écrire Ce matin-là et l’histoire de Matt sans plan précis, guidée par l’inspiration. « Il vivait de la douleur et de la détresse. Ça s’est dessiné dans ma tête. […] On m’a poussée à l’envoyer à une maison d’édition », raconte-t-elle.
Chaque chapitre est raconté par un des personnages et écrit dans un français familier, pour refléter leurs pensées. Ainsi, certaines scènes sont décrites sous plusieurs angles, chacun des personnages ayant son interprétation des évènements. Pour l’auteure, il s’agit d’abord d’un exercice d’empathie. « Je trouve tellement qu’on juge facilement et trop vite. On vit un évènement selon nos yeux. Mais comment l’autre le voit, je trouvais ça intéressant. Dans notre quotidien, je voudrais que les adultes que nous sommes laissent une chance au coureur. »
Évidemment, il ne s’agit pas d’excuser les actes de violence, souligne-t-elle. L’espoir est plutôt d’être ouvert à l’autre et à ce qu’il peut vivre pour, peut-être, éviter justement le pire.
Code noir
Malheureusement, le scénario d’une fusillade dans une école n’est pas que fictif. Est-ce que cela inquiète l’enseignante de français? « Ben oui! Autant qu’un feu peut m’inquiéter ou une catastrophe à l’école, quand je suis avec mes élèves. Je leur dis, au début de l’année : je suis responsable de vous », confie Mme Sévigny.
Elle indique que, depuis une dizaine d’années, les écoles font des pratiques pour être prêtes en cas de tireur actif. « Quand j’ai été de retour au travail, après mon congé de maternité, j’avais les yeux ronds et la bouche ouverte. Ben voyons, on se pratique pour ça? », raconte-t-elle.
Comme pour une pratique d’incendie, les enseignants et les élèves apprennent quoi faire grâce à une mise en situation. « On a un code noir. On se confine et on se barricade. J’ai un rôle de prof et les élèves ont un rôle aussi. On en discute parce qu’il faut agir d’une certaine façon si ça arrive. » D’habitude, l’exercice se passe dans le calme, même si certains élèves profitent de cette « pause » pour rigoler un peu, explique l’enseignante. « Je pense qu’ils le prennent sérieusement, mais avec un grain de sel. »
Les cas au Québec sont heureusement rares, bien qu’on peut penser à la tuerie de l’École polytechnique, en 1989, ou à la fusillade au Collège Dawson, en 2006. Aux États-Unis cependant, ces drames sont plus courants. Mme Sévigny a été choquée par la fusillade survenue dans une école primaire d’Uvalde, au Texas, en mai dernier. « Mon éditeur me disait que je ne peux pas être plus actuelle que ça. Mais ça me fait peur, aussi. J’ai écrit quelque chose de fictif, pas de prémonitoire. »