Du théâtre par téléphone

Par Ève Ménard

Un médium innovant et un sujet ambitieux : c’est ce que propose le Théâtre Déchaînés avec la création Tantôt, demain peut-être, écrite et mise en scène par Marie Ayotte.

Il s’agit d’une pièce de théâtre téléphonique interprétée pour un seul spectateur à la fois et portant sur le regret de la maternité. Après deux premières vagues de représentations en juin et en novembre 2020, la pièce est de retour pour 50 représentations supplémentaires du 14 septembre au 17 octobre.

Au bout du fil, Hélène, une mère étouffée de regrets, vogue de souvenir en souvenir, à l’abri dans son jardin. Le spectateur qui reçoit son appel peut participer au gré de ses envies, que ce soit en posant les questions qui lui viennent à l’esprit ou en choisissant de simplement l’écouter. La durée de la pièce peut varier d’environ 50 minutes à 2 heures et peut éventuellement prendre la forme d’une discussion ou d’un monologue. Chaque représentation est unique et respecte les préférences et les limites de chacun.

Réinventer le théâtre

Émilie Gilbert, qui a gradué de l’école de théâtre au Collège Lionel-Groulx en 2003, est l’une des trois comédiennes qui se relaieront le jeu dans les semaines à venir. Elle s’attend à vivre une expérience « intense » et singulière. En vue de ses représentations, Émilie travaille avec Marie Ayotte directement par téléphone. « Je sors mon texte et elle me donne des notes. Éventuellement, les prochaines répétitions se feront avec des spectateurs tests, pour voir comment on va réagir. »

Marie Ayotte est la directrice artistique du Théâtre Déchaînés. Il s’agit d’une compagnie montréalaise de production et de diffusion de théâtre participatif. Elle se spécialise dans l’implication éthique des spectateurs et les diverses interactions possibles entre oeuvre et public au théâtre, afin d’ouvrir un dialogue respectueux sur des réalités humaines trop souvent ignorées. La compagnie se soucie d’inclure les spectateurs qui ne peuvent se déplacer dans les salles traditionnelles, ainsi que les artistes fréquemment exclus pour des raisons de santé physique ou psychologique.

Grande amatrice de théâtre, Marie Ayotte assiste à tout ce qui se fait depuis plusieurs années. Toutefois, elle observe une certaine rigidité dans le médium théâtral. Des formes comme le théâtre numérique ou le théâtre à distance sont très peu exploitées. Le théâtre téléphonique, plus précisément, existe depuis 40 ans, précise l’autrice. En Europe, ce type de transmission théâtrale est implanté depuis longtemps. Faute de trouver un théâtre plus accessible et interactif, Marie Ayotte l’explore par ellemême. Le médium téléphonique convient d’ailleurs parfaitement au sujet exploré dans la pièce, considérant l’intimité et l’anonymat qu’il confère.

Regretter la maternité

En tant qu’artiste, Marie Ayotte s’intéresse à des réalités humaines souvent ignorées, dans l’objectif de les faire connaître à ceux et celles qui n’en font pas l’expérience. Il y a quelques années, la directrice artistique fait la rencontre d’une femme qui deviendra son amie. Cette dernière lui parle d’une réalité qu’elle a longtemps tenté de fuir : le regret de sa maternité. Avant de poursuivre, Marie Ayotte souhaite mettre une chose au clair : quand on parle du regret de la maternité, on parle du regret du quotidien de la maternité. C’est n’est jamais une question d’amour; les enfants sont aimés inconditionnellement.

Marie Ayotte est la directrice artistique de Théâtre
Déchaînés. Elle a aussi écrit et mis en scène la pièce
Tantôt, demain peut-être.

Devant le manque flagrant de ressources et le tabou persistant entourant cet enjeu, l’autrice a choisi d’en faire le sujet de sa pièce Tantôt, demain peut-être. Au cours de ses trois ans de recherches documentaires, elle a rencontré une trentaine de mères qui ont accepté de se confier à elle. « Le texte comprend environ 70% d’extraits d’entrevue que j’ai regroupés en un seul personnage, afin de transmettre la parole de ces femmes. »

Maman de deux enfants, Émilie Gilbert raconte avoir vécu une expérience thérapeutique en s’appropriant le texte. Bien qu’elle ne regrette aucunement sa maternité, la pièce l’a amenée dans des zones très émotives. « Même s’il ne s’agit pas du regret, il y a quand même des éléments qui sont venus me rejoindre comme l’oubli de soi ou le quotidien qui devient lassant. »

Émilie Gilbert participera pour la première fois à la
pièce, en tant que comédienne.

Ouverture et écoute

« Certains ont adoré l’expérience, certains ont été chamboulés, d’autres ont trouvé le théâtre téléphonique très étrange », note Marie Ayotte. Naturellement, l’expérience varie d’un spectateur à l’autre. Mais somme toute, la réponse est positive. C’est ce qu’a observé la directrice artistique à la suite des deux premières vagues de représentations.

D’ailleurs, la compagnie prend bien soin d’encadrer les spectateurs tout au long du processus. Quelque temps avant leur représentation respective, des fiches leur sont envoyés pour bien leur expliquer le déroulement de la pièce. Aussi, l’éthique occupe une place significative dans la démarche de la directrice artistique et des comédiennes. « Il faut que nous écoutions le spectateur sans le juger, que nous donnions des réponses, mais sans être des psychologues », précise Émilie Gilbert. L’important demeure de rester dans l’ouverture et l’écoute de l’autre.

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