Diane Houde : « La nature est une artiste maîtresse incroyable »
Par Simon Cordeau
L’artiste Diane Houde me reçoit dans sa résidence de Sainte-Anne-des-Lacs. De grandes fenêtres laissent entrer la lumière et la blancheur de la neige. Dans son atelier, ses oeuvres remplissent les murs. Elle a commencé à peindre à temps partiel en 1998, il y a 25 ans. Mais c’est vraiment depuis un voyage en Australie auprès des peuples aborigènes, en 2015, que sa créativité a « explosé ». Depuis, elle a remporté de nombreux prix, ici et à l’international, et elle cherche constamment des façons de renouveler son art.
« J’ai découvert l’art aborigène là-bas. C’est presque surhumain ce qui m’est arrivé. C’était comme un coup de foudre, viscéral, qui m’a touchée dans mes racines », raconte Mme Houde. Les couleurs du désert, la philosophie de vie et la spiritualité de ces peuples l’inspirent encore autant, sept ans plus tard.
L’inspiration du désert
« Quand je suis revenue de voyage, j’étais tellement envahie par leur façon de créer. J’explosais. Je voulais à tout prix m’exprimer sur toile. En un an, j’en ai fait une trentaine. » Pour créer, l’artiste couche d’abord sa toile sur une table ou même par terre. Puis elle la peint entièrement noire. Cette base foncée crée un contraste avec les couleurs de la terre et le blanc qu’elle ajoutera. « Le blanc vient libérer la toile », illustre-t-elle.
Comme principale technique, elle utilise le pointillisme : des points de différentes grosseurs et couleurs, qui créent des formes et des symboles. « C’est un travail qui demande beaucoup de patience. Et il faut être habile pour ne pas se salir. »
Avec ces points, elle crée des paysages ou des histoires, avec une perspective topographique : vue du ciel. Pour les aborigènes, c’est une façon de représenter leur territoire, de raconter des histoires et de transmettre des connaissances, m’explique l’artiste. Ils dessinent les vallées, les endroits où creuser pour de l’eau, les lignes pour se déplacer, etc. « Chacun s’assoit à côté et fait la partie de son paysage. Et ensemble, ils racontent l’histoire de leur communauté », raconte-t-elle, émerveillée.
Mme Houde représente tant des paysages réels ou abstraits que le territoire intérieur de ses émotions et de ses impressions. Elle crée des ronds qui rappellent des communautés, elle trace des formes et des symboles énigmatiques, pour former un tout empreint de mouvement et de fluidité. « Je veux démontrer une énergie : celle autour des choses, des personnes et dans la communauté. […] On est connectés à l’univers par cette énergie-là », explique-t-elle. À l’éponge, elle remplit les espaces et crée de la texture entre les points.
Voyager, vivre, peindre
Après une première production prolifique, l’artiste se questionne. « Est-ce que je vais faire juste ça ? On se cherche tout le temps. Un artiste n’est jamais satisfait de lui-même. Le processus est encore plus important que la destination. »
Elle essaie de peindre à l’huile et fait des oeuvres plus figuratives. « Au début, je n’aimais pas. Mais je voulais maîtriser la chose. » Puis, elle utilise l’huile pour créer des oeuvres plus abstraites, où elle se laisse portée par le couteau et ses mouvements. Elle me montre des toiles colorées et radieuses, qui rappellent les mosaïques de Riopelle. Elle expérimente aussi avec l’encre et le collage.
Ses voyages inspirent aussi beaucoup ses oeuvres. Après un voyage au Sri Lanka avec sa fille, elle peint une série lumineuse aux couleurs fluo. « On a adoré les gens. Quel beau pays ! » Les pays scandinaves qu’elle a visités, dont la Norvège, le Danemark et l’Islande, sont aussi une grande source d’inspiration. Sur les murs de son atelier, l’artiste me montre quelques oeuvres. Ici, l’impression abstraite d’une tombe funeste d’un viking. « De grosses pierres sont mises en cercle. À l’intérieur, il y a le viking, son armure, son cheval, etc. » Là, la mort des glaciers, qui ne laissent que la roche derrière. « L’oiseau symbolise l’espoir. Mais ce qui reste, c’est rien. Tout est gris. »
À chaque fois qu’elle revient, Mme Houde sent le besoin d’exprimer ce qu’elle a vécu, de coucher sur toile les images, les paysages et les émotions qui l’ont marquée. « Mes toiles sont vraiment autobiographiques. » Elle raconte avec émerveillement son ascension d’une montagne, en Norvège. « Arrivée en haut, je ne voyais qu’une brume épaisse. Ce n’était pas beau. On a mangé notre lunch. Et pour cinq minutes, quand on était prêtes à descendre, les nuages se sont séparés. » L’immensité des falaises, les fjords en bas et les minuscules paquebots sur l’océan se révèlent à elle. « Tu vois ça et tu ne peux que pleurer. Parce que la beauté qui se dévoile à toi est tellement extraordinaire. C’est un cadeau. »
La nature : « une artiste maîtresse »
Malgré diverses sources d’inspiration et l’essai de différentes techniques, Mme Houde retourne toujours à l’art aborigène. « C’était plus fort que moi. » Pour elle, il y a une connexion profonde entre cette façon de représenter le territoire et les paysages, ses efforts pour cartographier sa vie et ses émotions, et ce qui la lie aux autres et à l’univers.
Pour preuve, elle me montre un album photo de lichens et de mousses. Elle a fait cette découverte à Terre-Neuve. Sur les rochers, les mousses jaunes, rouges, vertes ou gris-bleu sont autant d’oeuvres d’art qu’elle découvre. « Ce sont des tableaux ! La nature est une artiste maîtresse incroyable. » Sur chaque cliché, on retourne des couleurs, un pointillisme et des textures qui rappellent étrangement les toiles de Mme Houde. « Donc j’ai fait une collection de 12 oeuvres, qui s’appelle Étude des mousses. »
L’artiste a aussi écrit un livre, Créer un point à la fois : l’art aborigène a changé ma vie, où elle partage son expérience et ses inspirations. « C’est pour rendre hommage à ceux qui m’ont donné cette piqûre : au pays et aux amis que je me suis faits. J’explique ma route, ce que j’ai vécu. Des poèmes décrivent ce que je vois. » Le livre s’ouvre sur des photos aériennes du désert australien : un lieu très fécond pour l’imaginaire de Diane Houde.