Entrevue avec un sociologue : Une réorganisation de nos sociétés s’impose
Par Journal-le-nord
« Avec la COVID-19, la société est en transformation », affirme d’entrée de jeu Yao Assogba, professeur émérite de l’Université du Québec en Outaouais et sociologue. Ce dernier anticipe plusieurs changements et nous dressons avec lui le portrait de la société de demain.
Monsieur Assogba identifie deux prises de conscience principales dont nous sommes présentement témoins. La première est en lien avec notre nature humaine : « Malgré nos sciences, malgré nos richesses, malgré la haute technologie, malgré les bombes atomiques et les fusées, un virus chambarde notre vie. Nous prenons conscience que nous sommes vulnérables et que nous ne pouvons pas totalement comprendre la nature. »
Repenser la vieillesse
Le seconde prise de conscience se concentre plutôt sur l’organisation de nos sociétés et se développe sur plusieurs sphères. Tout d’abord, le professeur indique que notre rapport à la vieillesse risque de changer. « Nous prenons conscience que dans nos sociétés, surtout occidentales, les personnes âgées n’ont pas leur place, et ce, jusque dans leur maladie. Alors nous allons tenter de trouver d’autres rôles aux personnes âgées, respecter davantage leur vie et nous allons changer nos habitudes vis-à-vis des proches aidants. Nous prendrons conscience que la famille a une fonction affective que ni le médecin, ni l’infirmier peuvent remplacer. »
La consommation transformée
Le professeur émérite souligne également que nous prendrons conscience de notre dépendance aux pays étrangers. « L’exemple, c’est le masque. C’est contradictoire que la Chine, d’où provient la COVID-19, soit le pays où l’on achète les masques ». Notre mode de consommation et de production en sera ainsi affecté : « Nous développerons l’entrepreneuriat, l’agriculture locale, la consommation de produits locaux et l’Occident prendra soin de sa consommation et de sa production. Les pays dépendront moins de l’extérieur. »
Hausser les salaires, puis la formation
En tant que société, nous prenons aussi conscience de l’importance du rôle de certains emplois. Le sociologue donne l’exemple des préposés aux bénéficiaires qui accomplissent des tâches que nous identifions aujourd’hui comme étant essentielles, mais que nous sous-estimions auparavant. Selon Yao Assogba, « dans la société, les salaires varient selon l’importance que nous accordons à une profession » et les années d’étude que celle-ci demande.
Le professeur souligne que cette nouvelle valorisation du travail des préposés entraînera une augmentation des salaires. « Ce qui arrivera, c’est que comme nous augmenterons les salaires, nous serons plus exigeants dans la formation ». Ainsi, le sociologue anticipe que l’augmentation du salaire engendrera une augmentation de la formation des préposés aux bénéficiaires, bien qu’avant tout, cet enchaîne-ment débute dans la manière dont la société perçoit une profession. « Comme nous reconnaissons ce service, nous demanderons plus de connaissances pour qu’il soit mieux adapté. »
Le développement de « micro-sociétés »
À travers son discours, Yao Assogba utilise à quelques reprises les termes « micro-société » ou « micro-organisations », laissant ainsi présager un retour à plus petite échelle et à des relations moins massives. Le professeur anticipe qu’autant les milieux de l’éducation que ceux du travail seront transformés. Par exemple, au lieu d’avoir 100 étudiants dans une même salle, ils seront répartis en petits groupes. « Il y aura des petites entreprises, des relations davantage au sein de la famille. Dans le travail aussi, ce ne sera plus de grandes organisations et de grandes bâtisses. Et même à l’intérieur de grandes bâtisses, il faut qu’on réorganise pour qu’il y ait des micro-organisations ».
Or, selon lui, ces changements s’opéreront sans toutefois isoler la société, puisque comme le professeur l’indique, « l’être humain est d’abord un être de relation. Nous sommes des êtres sociaux. […] Il va y avoir des changements, mais des changements qui s’organisent de façon à ce que nous ne perdions pas les relations sociales. Nous nous organiserons pour que ça n’arrive pas parce que sinon, nous ne vivons plus en société. »
Le rapport à l’environnement doit changer
Bien que le sociologue ne puisse l’affirmer hors de tout doute, il croit et espère que la société de demain ne sera plus la même que celle que nous avons connue avant la pandémie. En fait, l’absence de changements provoquerait en elle-même une autre problématique. « Si l’humanité ne prend pas conscience de sa façon de vivre avant la pandémie, si nous ne changeons pas, cela signifie que nous risquons d’être dépourvus à nouveau. » À cet effet, le professeure avance que notre rapport à l’environnement devra absolument évoluer : « Aujourd’hui, avec le confinement, nous remarquons que les rivières, la flore, la faune se régénèrent dans les états naturels qui étaient les leurs. Mais est-ce que nous pouvons prendre conscience de ça? Le malheur, c’est que l’économie détermine nos société industrielles. Nous voulons produire plus et pour produire, il faut exploiter la nature, le pétrole, il faut consommer davantage. Mais nous ne pouvons pas continuer; il faut changer notre rapport à la nature ».
Selon les dires du sociologue, la société est effectivement en train de vivre une transformation importante, mais quelles prises de conscience appliquerons-nous dans le monde de demain? Lesquelles seront source d’innovation concrète? Une chose est certaine, des changements positifs pourront découler de la crise que nous vivons présentement. « Nous allons retirer du positif, c’est certain. C’est la loi de la contradiction; il y a le côté positif et le côté négatif », assure le sociologue.
Yao Assogba est optimiste de voir se développer une société consciente qu’une réorganisation est nécessaire. « L’être humain est capable d’innover, de s’adapter et de créer de nouvelles transformations. Nous sommes capables de le faire ».
Un retour de la foi religieuse?
« J’anticipe que la foi religieuse renaîtra, car lorsque les personnes sont en détresse et voient leur vie menacée, elles veulent s’accrocher à une expérience et elles retournent dans leur spiritualité. Le retour de la religion sera constaté chez certaines catégories sociales », souligne Yao Assogba.