Vivre un procès : Léa Clermont-Dion se fait entendre
Par Ève Ménard
Pour Léa Clermont-Dion, l’écriture, c’est « l’intériorité ». Elle nous y donne un accès privilégié dans son plus récent livre, Porter plainte, dont le lancement aura lieu le 24 octobre.
Le 26 octobre 2017, Léa Clermont-Dion porte plainte pour agression sexuelle, treize ans après les faits. Il faudra quatre ans de plus pour qu’un juge rende son verdict en 2021. Dans cet essai criant de vérité, l’autrice se confie sur son expérience dans le système de justice. Écrite sous forme de fragments autant informatifs qu’intimes, l’œuvre rassemble sept années de réflexions et d’épreuves.
Léa Clermont-Dion a commencé l’écriture de Porter plainte il y a sept ans, sans savoir que ça aboutirait à la publication d’un livre. L’écriture lui venait toute seule. « Je suis quelqu’un d’assez rationnel dans la vie. Parfois, je me ferme de mes propres émotions. Ce livre a été libérateur, parce que je révèle des choses qui étaient enfouies en moi », confie l’autrice.
D’ailleurs, celle-ci ne retient rien : elle laisse aller les moments plus difficiles et les doutes. « C’est beau d’être dans le rationnel et d’analyser froidement une situation; c’est ce que nous impose le droit. Mais je trouve que les moments de vulnérabilité sont les plus pertinents, parce qu’ils nous permettent de nous plonger dans l’intimité d’une personne qui vit ça », constate Léa Clermont-Dion. Celle qui a grandi à Gore, puis étudié à l’École polyvalente de Saint-Jérôme, se réapproprie sa parole et la libère. Entrevue.
Dévoiler un livre comme celui-là, qui va dans l’intime, est-ce que ça fait peur ?
Si je fais le choix d’écrire ce livre-là, il faut absolument que ce soit vrai. Je ne pouvais me mettre derrière un masque, parce qu’un procès, ce n’est que porter des masques. On est obligé d’en mettre pour se protéger de l’adversité. Mais maintenant, c’est très différent parce que j’en ai assez de ces masques. J’ai besoin de m’écouter, d’être authentique, d’être vraie. Et la vérité, elle est dans les mots que j’utilise, dans les nuances, dans les malaises, dans les réconforts, dans les choix. Je pense que c’est un désir ardent de liberté. Durant le procès, je n’avais pas l’impression de pouvoir m’exprimer ou de me faire entendre. Dans le livre, je pense pouvoir me faire entendre avec les mots que j’ai envie d’utiliser.
Est-ce que l’écriture permet de réparer quelque chose que le système n’arrive pas encore à réparer ?
Le système de justice répond à certains besoins, comme le besoin d’encadrer des comportements qui n’ont pas lieu d’être. Mais ce n’est pas toujours parfait pour alléger les malaises, pour faire du bien. J’ai tout de même trouvé du positif à travers le processus, notamment avec l’aide du procureur et de l’enquêteur. Mais ce n’est pas ça qui m’a reconstruite, la reconstruction s’est faite à travers l’écriture. Ce n’est pas pour rien qu’on voit de plus en plus d’autrices ou d’auteurs parler de la violence qu’ils ont subie. Ç’a vraiment des bienfaits extraordinaires sur sa propre émancipation. Moi, ça m’a fait du bien. Ça m’a permis de sortir d’un certain étouffement.
En ouverture du documentaire T’as juste à porter plainte, qui relate aussi le processus judiciaire, vous dites : « j’ai décidé de vous raconter mon histoire, même si je sais que ça va déplaire à du monde ». Est-ce que vous vous attendez à déplaire avec ce livre ?
Je crois que ça fait partie de la création. Mais ce que je voulais dire par là, c’est que ça va déplaire particulièrement à des gens qui n’ont pas envie d’entendre ce propos-là. Je pense que le sujet amène ça, il divise. Dans un procès pour agression sexuelle, il y a des clans : il y a des gens qui appuient l’agresseur et des gens qui appuient la victime. On n’est pas dans l’unanimité. Mais je trouve que les gens sont assez ouverts d’esprit, le public réagit très bien quand on désire aborder ce sujet. Il y a aussi un écoeurantite de s’être tu pendant si longtemps. Beaucoup de gens ont envie que la parole soit exposée. Donc, il y a des possibilités de dialogue.
Mais est-ce que ce n’est pas inquiétant, tout de même, que le sujet divise autant ? Dans le livre, vous parlez régulièrement de backlash, par rapport au mouvement #MeToo.
C’est inquiétant parce que ça veut dire que ç’a été mal compris. Le mouvement #MeToo a eu des conséquences très positives pour la société québécoise. On a eu la création du tribunal spécialisé en matière de violences sexuelle et conjugale. On a maintenant la loi P-22 dans les établissements d’enseignement supérieur, qui permet de mieux encadrer les violences à caractère sexuel, on a des bureaux de plainte de harcèlement, on a des formations obligatoires. Sans #MeToo, ça n’aurait pas été possible. C’est la preuve qu’il faut continuer de parler de cet enjeu et de déconstruire des mythes comme celui que toutes les victimes d’agression sexuelle mentent ou que les personnes qui dénoncent une agression le font pour chercher de l’attention. Je pense qu’un travail d’éducation doit être fait. Il m’arrive de donner des conférences sur le consentement dans les écoles et je constate que les jeunes générations ne savent pas ce que c’est #MeToo. Récemment j’ai donné une conférence à des garçons de 17 ans. J’ai demandé à la classe qui connaissait le mouvement #MeToo et personne ne connaissait ça. C’est assez incroyable.
Le balado Pourquoi tant de haine ?
Léa Clermont-Dion est également aux commandes d’un nouveau balado disponible sur la plateforme Savoir média : Pourquoi tant de haine ?. Docteure en science politique, Léa Clermont-Dion s’intéresse aux racines de la haine envers les femmes. Dans ce nouveau balado, la chercheuse vulgarise ses travaux de recherche et les rend accessibles. « C’est un devoir que je me donne. Le but, c’est de vulgariser, de transmettre, de discuter, de donner la voix à des chercheurs et à des personnes qu’on entend moins. Je trouvais ça important de le faire parce que ce sont des thématiques sensibles », dit-elle.
Le nombre de questions et la longueur des réponses ont été ajustés pour faciliter la lecture.