« Vieillir, c’est être en vie » – Janette Bertrand

Par France Poirier

Jeudi matin, 31 octobre, j’ai un rendez-vous téléphonique comme ça arrive régulièrement. Mais ce rendez-vous a quelque chose de particulier qui me stresse un peu. J’attends l’appel de la grande Janette Bertrand, la presque centenaire Janette.

Elle aura 100 ans le 25 mars prochain et elle vient de sortir son dernier livre Cent ans d’amour. Aussitôt sorti, aussitôt vendu. Ils ont dû en faire une réimpression.

Cinq minutes avant notre rendez-vous, la sonnerie de mon téléphone se fait entendre. Je prends l’appel et, tout de suite, j’entends sa voix pleine de bienveillance et de gentillesse. Toujours très alerte et vive d’esprit, Janette Bertrand me parle de la vieillesse et du bonheur de vieillir. « Vieillir, c’est être en vie ! », dit-elle.

Je lui demande : comment on apprend à vieillir ? « Vous n’avez qu’à lire mon livre et vous allez le découvrir », dit-elle en riant.

Plus sérieusement, elle me répond : « Vieillir, c’est ne pas être capable de retenir son urine, mais c’est aussi un grand cadeau de la vie. On n’est pas encore morte. C’est comme ça qu’il faut le voir. C’est une vision de l’esprit. Si on pense que c’est un naufrage, comme disait Victor Hugo, et bien, on se laisse aller et autant faire naufrage avant », illustre avec sagesse Mme Bertrand.

Elle explique qu’on doit prendre la vieillesse comme une étape de la vie. On est jeune, on est adolescent, on est adulte, puis on est dans la grande maturité et on meurt. « On m’a érigé comme modèle, mais il y en a beaucoup comme moi, on ne les voit pas. D’où mon idée avec l’Institut de gériatrie de l’Université de Montréal de demander aux gens : dites-nous ce que vous trouvez beau de vieillir. »

Pourquoi c’est important de parler de la vieillesse ?

Sans hésitation, elle explique que c’est parce qu’on vit de plus en plus vieux. « On ne pourra plus, comme ç’a toujours été le cas, mettre les vieux à l’écart. En ce moment, il y a autant de vieux que de jeunes. Alors dans 20 ans, il y aura plus de vieux encore. C’est pour ça que c’est important d’en parler », souligne-t-elle.

Elle estime que c’est un besoin pour les gens de faire parler de vieillesse. La preuve : trois jours après la sortie du livre, il n’y en avait déjà plus. Il a fallu qu’ils en impriment 10 000 autres. « Quand on est vieux, on existe encore, on n’est pas enterré. Consultez-nous ! Vous allez voir qu’on a des choses à dire. »

La vieillesse par une vraie vieille, votre livre avant Cent ans d’amour, est sorti il y a une dizaine d’années déjà. Qu’est-ce qui est différent entre ces deux livres ?

« Quand on atteint 90 ans, on entre dans la grande vieillesse. C’est ça qui fait peur. On a peur de l’Alzheimer. On a peur de tout. On a peur d’être placé et de devoir partir de chez soi. Il faut prendre notre place. Tout ce que je fais, c’est prendre ma place d’être humain. »

Dans votre livre vous parlez de toutes sortes de sujet : la sexualité, l’incontinence, la dysfonction érectile, etc. C’est important d’aborder ces sujets ?

« C’est important parce que ce sont des tabous et personne n’en parle. La femme qui se retrouve avec un mari pour qui ça ne fonctionne plus du côté sexuel, elle pense qu’il ne l’aime plus. Mais non, c’est parce que la machine est usée ! [Rires] Quand on parle d’incontinence, la majorité la vit. Ce n’est pas une maladie : on est dans l’usure. Tous les jours, je me lève et je me dis que je suis vivante. Toutes mes amies sont mortes. Moi, j’ai la chance d’être là encore et de contribuer. »

Pour elle, contribuer est essentiel. « Évidemment, il faut contribuer à la société. Il faut faire du bénévolat, il faut penser aux autres. Si on se retourne contre soi-même, si on ne pense qu’à soi, tous nos petits bobos se décuplent. Pendant qu’on donne aux autres, on n’a pas le temps d’être malade », explique-t-elle.

Croyez-vous qu’on devrait donner plus de place aux cours d’éducation sexuelle à l’école ?

« Oui, et malheureusement, il y a toujours des parents pour s’offusquer quand on parle d’éducation sexuelle. C’est épouvantable parce que maintenant, l’école pour la sexualité, c’est la pornographie. Ceux qui pensent que leurs enfants n’en consomment pas : ce n’est pas vrai. On est curieux quand on est jeune et on veut savoir les choses. S’il n’y a pas de livre ou de cours, ils vont voir vers la pornographie alors que ce n’est pas la réalité. »

L’égalité homme-femme a été longtemps votre cheval de bataille. Comment vous percevaient les hommes ?

« Mon Dieu, les hommes ne m’aimaient pas ! Ils avaient peur que leur blonde ou leur femme soit comme moi, qu’elle revendique des choses. Ils n’ont pas compris pendant longtemps, mais maintenant, je vois une grande ouverture. Beaucoup de jeunes hommes viennent me voir et me disent : “Vous m’avez secoué”. Je pense qu’il y a beaucoup d’hommes intelligents qui disent que c’est fini le temps du patriarcat. Les temps ont changé. C’est le temps de l’équilibre entre les sexes. Il faut que ce soit comme ça. On a évolué, il faut qu’ils évoluent avec nous. »

Lorsque vous animiez Parler pour Parler, est-ce qu’il y a des sujets que vous ne pouviez pas aborder ?

« Jamais ! Parce que j’ai souffert de ça toute ma vie, les tabous. Tout ce dit. Ça dépend de la manière. »

Et l’église dans tout ça ?

« On nous a beaucoup culpabilisés. Il n’y a aucune religion sur la Terre qui veut que les femmes avancent. Ce sont tous des hommes qui ont créé ces religions. Ce sont des boys club, alors ils veulent que les hommes soient les chefs. On ne veut pas prendre leurs places : on veut être à leurs côtés. »

Qu’est-ce qui a le plus évolué selon vous dans les relations homme-femme ?

Sans hésitation, elle répond la paternité. « Comme la femme travaille, le mari réalise que, sans le salaire de sa femme, ils ne pourraient pas avoir tout ce qu’ils ont. Quand le bébé arrive, le conjoint s’implique autant que la femme. Les hommes prennent soin des bébés comme des mères. »

Sa famille

Janette Bertrand a eu trois enfants : Dominique, Isabelle et Martin. Ceux-ci comptent 8 petits-enfants et 7 arrières-petits-enfants. « Je les reçois encore au chalet. Il y a toujours des partys chez nous. On aime beaucoup ça. Les cousins entre eux sont très amis. On a beaucoup de chance, on est très unis. »

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