Troubles des conduites alimentaires : Quand le corps de votre enfant est pris en otage
Par Simon Cordeau
Que faire lorsque votre enfant est victime d’un trouble des conduites alimentaires (TCA), comme l’anorexie, la boulimie ou d’autres de ses formes ? Qu’il s’agisse d’un(e) adolescent(e) ou d’un(e) jeune adulte, les parents se sentent souvent démunis face à la maladie de leur enfant, explique la psychologue Annie Aimé. « Les parents veulent s’impliquer. Et des fois, ils se demandent comment faire. Ils se sentent impuissants ou écartés des traitements. »
Dre Aimé et la psychoéducatrice et psychothérapeute Marie-Michèle Ricard ont donc écrit Le corps pris en otage : Agir quand un trouble des conduites alimentaires s’empare de votre enfant. Dans ce livre, elles offrent des outils concrets pour les parents et les proches, et donnent de l’information pour mieux comprendre cette maladie.
Comme une mauvaise herbe
Dre Aimé compare les TCA à une mauvaise herbe. « Elle n’envahit pas juste l’enfant, mais toute la maison, tout le monde. Ce n’est jamais une question de mauvaise volonté. Mais on veut tellement bien faire qu’on embarque dans le trouble : on l’accommode », souligne-t-elle.
Ainsi, les parents peuvent éviter certains aliments, faire des efforts supplémentaires pour trouver des aliments spécifiques, ou ramasser sans dire un mot quand l’enfant se fait vomir, tout en pensant bien faire. « Mais ça permet à la mauvaise herbe de prendre de plus en plus de place. L’intention, ce n’est pas ça. On se dit que si on aide notre enfant à manger un peu, même s’il ne mange que des pommes, c’était déjà ça. Oui, mais il faut aussi l’aider à manger autre chose », illustre la psychologue.
Un élément important est donc de dissocier la maladie : de la voir comme une entité à part, étrangère à l’enfant. « On va dissocier la maladie de l’enfant pour s’aider à faire équipe contre le trouble alimentaire. Si c’était l’enfant, c’est comme si on s’en prenait à lui et on a l’impression de lui faire du mal. Mais si on dissocie les deux, je fais face au trouble alimentaire et j’aide mon enfant », explique Dre Aimé.
Cela permet aussi aux parents de ne pas perdre de vue l’essentiel. « Il y a des moments dans le parcours où les parents sont exaspérés, découragés. En dissociant, ça les aide à se rappeler que leur enfant est toujours là. Mais il a moins de place. Et ensemble, on va essayer de lui donner plus de place. »
La meilleure arme : aimer
Le livre est construit autour de la notion d’espoir, souligne la psychologue. « On croit que les parents et leur engagement ont un effet sur le mieux-être de l’enfant. » Selon Dre Aimé, on sous-estime les effets d’un TCA sur la famille. « Évidemment et avec raison, on a beaucoup parlé de ses effets sur la personne. Mais la famille ne reconnaît plus son enfant. Quand elle a l’impression d’avoir tout essayé et que rien ne fonctionne, elle devient très prise émotionnellement dans tout ça. »
L’ouvrage propose donc aux parents diverses stratégies, afin que ceux-ci en trouvent qui conviennent à leur situation. Dre Aimé rappelle que la guérison est toujours possible, mais que le processus, lui, peut être long et exigeant. « Le message derrière, c’est : restez présents. Ne lâchez pas. Pardonnez-vous de ne pas toujours être le meilleur. Mais restez présents. C’est ça, l’essentiel. Dans notre expérience clinique, on a vu les parents réussir par leur présence. On les voit tomber, se relever et réessayer. C’est toujours l’amour et le lien d’attachement avec l’enfant qui fait une différence », souligne-t-elle.
À la fin du livre, on retrouve une liste de 20 points à se rappeler au quotidien. Le premier ? « Aimez votre enfant ». « C’est gagné d’avance. Des parents qui n’aiment pas leur enfant, je n’en connais pas. Donc on l’a, cette base-là, et on construit dessus », ajoute Dre Aimé.
Vaincre la honte
La honte peut également prendre beaucoup de place, souligne Dre Aimé. « Avec la boulimie ou le trouble d’accès hyperphagiques par exemple, on n’arrive pas à contrôler notre alimentation. La honte est extrêmement pesante psychologiquement. Elle nous isole et rend difficile de sortir de notre coquille et d’en parler. »
C’est pourquoi il est d’autant plus important de dissocier la maladie de l’enfant. Sinon, l’enfant risque de s’identifier au trouble alimentaire, ce qui rend la rémission plus difficile. « Quand ça fait partie de notre identité propre, on en tire une valeur personnelle, et on n’a pas envie de s’en défaire », illustre Dre Aimé.
La psychologue rappelle d’ailleurs que les TCA peuvent également toucher les garçons, et qu’il est important d’aborder le sujet avec eux aussi. On observe plus fréquemment chez eux une pratique sportive excessive, la prise de suppléments visant à renforcer leur musculature, ainsi que des troubles comorbides associés à la consommation de substances ou à la dépression, peut-on lire dans le livre. « [Les garçons] ont l’impression de ne pas toujours pouvoir en parler. On entend encore que c’est une maladie de fille. Ils ne veulent pas trop en parler, il y a quelque chose de très honteux à ça. »
Les TCA en chiffres
Les TCA sont la 3e maladie chronique la plus fréquemment diagnostiquée chez les adolescentes, avec une incidence pouvant aller jusqu’à 5 %.
La prévalence à vie des TCA serait de 8,4 % pour les femmes et de 2,2 % pour les hommes.
Les jeunes trans semblent particulièrement à risque. Près de 16 % rapportent un TCA contre 1,85 % des jeunes cisgenres.
Depuis la pandémie, on a observé une augmentation de 60 % des diagnostics d’anorexie mentale et d’anorexie mentale atypique et trois fois plus d’hospitalisations.
Le taux de réussite est de 90 % lorsque le traitement est mis en place dans les 3 premières années. On a observé que la maladie pouvait durer jusqu’à 12 ans. Plus tôt le traitement commence, meilleures sont les chances de rémissions.