Sac-au-Dos : un bout de la France à Sainte-Adèle
Par Simon Cordeau
Il y avait à Sainte-Adèle une colonie de vacances unique, et un lieu de rassemblement pour la communauté française, aujourd’hui disparue. Après huit ans à fouiller des archives, à récolter des témoignages et à numériser des centaines de photos, Robert Boily publie un ouvrage sur l’histoire du Sac-au-Dos, avant que sa mémoire ne s’efface.
Sur un terrain immense de 350 acres (ou 1,4 millions de mètres carrés), entre la rivière aux Mullets et le chemin du Moulin, le Sac-au-Dos ouvre en 1919. C’est d’abord une maison de repos par et pour les Anciens Combattants Français de Montréal. Après la Première Guerre mondiale, les soldats blessés s’y rendent, pour guérir physiquement et moralement.
En 1922, quatre ans après la fin de la guerre, un changement de vocation s’impose. Le Sac-au-Dos devient une colonie de vacances pour les enfants. Le site reste un lieu de rassemblement pour les adultes, qui s’y reposent les fins de semaine.
Jusqu’en 1935, le Sac-au-Dos produit même sa propre nourriture. On cultive les terres, on élève du bétail, la forêt est riche en gibier et la rivière, en poissons. On peut même vendre les quelques surplus au marché, à Sainte-Adèle. Mais comme les terres sont rocailleuses, l’agriculture n’en vaut pas l’effort. « On avait de la misère à trouver des fermiers volontaires. Ils aimaient mieux aller dans la région de Saint-Jérôme ou de Mirabel », raconte l’auteur.
Des étés formateurs
Enfant, M. Boily a lui-même séjourné au Sac-au-Dos, durant les étés de 1968 et 1969. « Je suis québécois, né à Laval, mais mon père est français. Il est arrivé ici en 1934. »
Pour le jeune Robert, c’est la première fois qu’il sort du cocon familial. « Je me rappelle que mon univers, c’était la maison, la famille proche et le quartier. Et là, à 11 ans, je pars pour un mois, en autobus, tout seul. Et je me retrouve dans le fond du bois. »
La structure du camp s’inspire des scouts et des cadets de l’armée, explique M. Boily. La discipline et les règlements sont centraux. Les enfants portent le foulard et le béret, et peuvent gagner des badges selon le mérite. « Chez moi, je ne faisais pas grand-chose. Ma mère s’occupait de tout, j’étais très couvé. Mais là-bas, non. Tu fais ton lit. Et après, il y avait l’inspection. »
Les enfants sont groupés en équipe, chacune avec son fanion. « On allait dans le bois, on apprenait à faire des cabanes. » Chaque mercredi, il y a une « grande sortie » au Mont-Tremblant, à la pisciculture de Saint-Faustin ou à l’auberge Sun Valley de Val-Morin.
« Ç’a été un choc, qui m’a fait du bien. Ça m’a transformé », raconte l’auteur. Il se souvient de tout le plaisir qu’il a eu durant ces deux étés. Les campeurs étaient toujours dehors, en train d’apprendre quelque chose.
« La seule fois où il y a eu une télévision, c’était pour regarder Neil Armstrong marcher sur la Lune, en direct. » C’était le soir du 20 juillet 1969. Tout le camp se réunit dans la grande salle à manger pour assister à ce moment unique. « C’était vraiment impressionnant. »
Pour le père qui dirige le camp, tout est formatif. « C’était vraiment une école en même temps qu’un camp. »
Communauté française
À son plus populaire, soit à la fin des années 1960, le Sac-au-Dos accueille plus de 100 enfants par mois. « En juillet, c’était les garçons. En août, c’était les filles », note M. Boily.
« Il y avait une communauté française très vivante et tissée serrée. » À ses débuts, le Sac-au-Dos parvient même à faire des levées de fonds impressionnantes pour se financer.
« Après la Première Guerre mondiale, les militaires français étaient vus comme des héros par les Québécois. Ils avaient combattu dans une guerre d’une ampleur jamais vue. Donc il y avait beaucoup de sympathie pour la communauté française », explique l’auteur. Beaucoup de support vient du milieu politique, de l’Église, des journaux et de la haute société.
Jusqu’aux années 1950, il faut être français pour aller au camp. « Après, ils ont commencé à accueillir des enfants qui n’étaient pas français, mais qui avaient un certain lien. » Dans les années 1960-1970, il y avait même des anglophones. « Mais on parlait toujours français », souligne M. Boily.
Plusieurs personnalités médiatiques sont aussi passées par le Sac-au-Dos, dont Joël Le Bigot, Roger Baulu, Janine Sutto, Mimi d’Estée et Nicole Germain, entre autres.
« Le Sac-au-Dos, avec le temps, est devenu le lieu de rencontre par excellence de la communauté et de la diplomatie française », poursuit l’auteur. Tant les ambassadeurs que certains artistes, comme le chanteur Charles Trenet, y font une visite.
Le consul général de France et son entourage s’y rendent chaque année, souvent pour les festivités du 14 juillet. « Il y avait des feux d’artifice et tout. Les gens du secteur se souviennent encore de ça », témoigne M. Boily.
Consigner la mémoire
Le Sac-au-Dos ferme ses portes en 1977. « Il est arrivée trois choses en même temps : la tempête parfaite », explique l’auteur.
D’abord le père Paul-Émile Grosse, « l’âme de la colonie » depuis 1959, a un malaise cardiaque en 1976. Il décide de se retirer. Au même moment, la Ville de Sainte-Adèle et le gouvernement du Québec exigent que les bâtiments répondent aux nouvelles normes de sécurité. Pour s’y conformer, un investissement massif est nécessaire.
En parallèle, le Nord se développe. L’intérêt des promoteurs et la spéculation font augmenter le prix des terrains. Le Sac-au-Dos reçoit donc des offres alléchantes. Devant cette conjoncture, on décide de fermer la colonie. Mais il faudra attendre 10 ans avant que le site soit vendu.
Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une stèle, visible de la route, et quelques fondations. La forêt a englouti le reste.
Pour écrire l’ouvrage, M. Boily a retrouvé plusieurs personnes qui ont séjourné à la colonie durant leur enfance, dont certaines sont aujourd’hui centenaires. « J’enregistrais pour être sûr de ne rien manquer. Je me disais que je n’aurais pas une deuxième chance. »
Deux d’entre elles sont d’ailleurs décédées peu de temps après. Pour d’autres, il était trop tard. « Il y a une ancienne du Sac-au-Dos que j’ai finalement retrouvée, pour apprendre dans le journal qu’elle était décédée. Donc je suis allé au salon funéraire, avec la photo d’elle quand elle était jeune. Personne ne connaissait cette histoire. C’était très émouvant. »
Deux anciennes du Sac-au-Dos ont racheté une partie du site, où se trouvaient les installations, pour préserver sa mémoire et y empêcher le développement.
Pour vous procurer une copie du livre sur le Sac-au-Dos, contactez directement l’auteur, Robert Boily, par courriel : rb2723@oricom.ca